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des fantaisies qu’elle recevait elle-même de l’extrême Orient. Par une de ces contradictions qui se retrouvent au fond des choses humaines et qui déroutent la logique des idées, le christianisme, religion d’abnégation et de pauvreté, née dans une étable et propagée par des pêcheurs, concourut à donner aux habitudes occidentales une mollesse inconnue des temps païens. Si Rome au IVe siècle restait encore en beaucoup de points la régulatrice de la vie politique, elle ne fut plus celle des mœurs : elle pouvait donner encore la loi, Constantinople donna la mode.

Les documens contemporains ne manquent pas à qui veut étudier et peindre les mœurs de cette époque, sans recourir aux données des temps antérieurs, ressource toujours incertaine et souvent dangereuse historiquement. Des poètes, des orateurs, qu’on appelait panégyristes, des historiens considérables, et quelques écrivains épistolaires tels que Symmaque, nous dévoilent le côté païen de la société ; son côté chrétien nous est donné avec plus d’ampleur encore et de certitude par les grands écrivains chrétiens qui faisaient alors l’honneur de l’Occident : Jérôme, Ambroise, Augustin, Paulin de Noles. Leurs livres, écrits au jour le jour, suivant les besoins de la polémique religieuse ou de l’enseignement moral, reflètent la vie du temps comme dans le plus pur miroir ; leurs lettres surtout nous offrent ce caractère de vérité irrécusable, de témoignage en quelque sorte involontaire et spontané. C’est là que je puiserai autant que possible les matériaux de mon travail, et entre ces correspondances volumineuses je m’adresserai principalement à celle de Jérôme, source charmante et féconde, où ce grand homme, le plus grand de tous assurément par l’esprit et le talent, littérateur et théologien consommé, homme du monde et moine, presque pape et chassé de Rome comme un malfaiteur, nous parle de lui, de ses amis, de ses ennemis, et du fond de son ermitage de Bethléem tient encore les fils de la société patricienne. On peut dire sans exagération que toute la vie romaine est là, depuis les intrigues de la chancellerie épiscopale jusqu’aux guerres scandaleuses des conciles, et depuis les pratiques austères des moines jusqu’aux plus intimes secrets des gynécées. Au flambeau de ces révélations, je ne cours pas risque de m’égarer, et pour rester encore plus ferme sur le terrain de la certitude, je choisirai des événemens où Jérôme est tout à la fois historien et acteur.


I

On ne comprendrait guère l’état de la société chrétienne sans une connaissance au moins générale de la société païenne, au milieu de