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de la mise en scène, que restera-t-il? Un chœur d’orphéon, un pas redoublé de bande militaire. » C’est possible; mais doit-on raisonner de la sorte, et n’y a-t-il point quelque injustice à vouloir juger de la musique de ce genre en dehors de son milieu théâtral? Autant vaudrait dire à un décorateur: « Voilà une toile de fond qui fait merveille; mais essayez un peu de lui ôter la rampe, tâchez de venir nous exposer cette peinture à la lumière du Louvre, entre un Raphaël et un Léonard, et vous verrez quel beau torchis cela deviendra! » Contre un pareil système de critique, Verdi tout le premier ne tiendrait pas une minute. Prenons les choses pour ce qu’on nous les donne, et quand Roland et ses paladins vont en guerre, ne reprochons point à la musique qui sonne la charge d’être cuirassée. C’est un splendide coryphée que M. Gueymard, un vrai ténor de combat et de champ d’honneur, qui, tant que l’action se prolonge, lutte sans se rendre et sans mourir. Au-dessus de la terrible mêlée des chœurs et de l’orchestre, sa voix monte et plane héroïquement. Vous l’entendez toujours, vous la suivez comme une épée, comme un panache! La légende prétend que Roland, à force de vouloir souffler dans son cor d’ivoire, se rompit les veines du cou. M. Gueymard accomplit bien d’autres prouesses. Il chante dans cet acte le récitatif du songe, le trio, ce finale tout entier, qu’encore on lui fait redire, et nul accident, grâce à Dieu, n’est à déplorer, et sa robuste organisation suffit à ce travail d’Hercule. M. Gueymard n’est pas seulement la voix de ce rôle, il en est l’homme. Sa haute stature, sa physionomie, se prêtaient d’avance au costume. Je regrette pourtant que l’expression de la tête réponde si peu à l’idée qu’on se fait du personnage. Pourquoi ces cheveux coupés court, cette moustache et cette barbiche de sous-officier? Voilà qui me gâte mon héros : ce n’est plus Roland, c’est un zouave de l’empereur Charlemagne.

Je ne quitterai pas cette partition sans dire un mot d’un effet très neuf et très original qui se trouve à l’entrée du quatrième acte. Il s’agit du cor Olifant. Le musicien avait à faire sonner l’instrument fabuleux. Roland, au moment d’expirer, porte à ses lèvres le cor d’ivoire, et la voix éplorée qui s’en exhale a des accens d’un autre monde. M. Mermet a compris qu’un simple instrument de l’orchestre ici ne suffisait point, et c’est à une intelligente combinaison des bassons et de l’ophicléide qu’il a demandé cette sonorité d’une mélancolie, d’une désolation vraiment légendaires. Du reste, cette curieuse ressource qu’on peut tirer des notes suraiguës de l’ophicléide pour produire un effet de lamentation avait été déjà indiquée par M. Berlioz dans son traité d’instrumentation. Que M. Mermet ait profité de la leçon ou que tout simplement l’idée lui soit venue, il n’y a qu’à le féliciter du résultat. Félicitons-le surtout de son succès, qui, en dégageant le passé, prépare l’avenir.

Aujourd’hui plus que jamais, l’auteur de Roland à Roncevaux doit savoir ce qui lui manque, et l’expérience qu’il vient de traverser ne sera point perdue. Pour les bons esprits, qui ne se laissent ni décourager par