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Lowestoft-Roads, et ailleurs à peu près pour les mêmes causes. Enfin le light-ship, dans d’autres localités bien différentes, sert à mettre en garde les matelots contre des courans perfides, des tourbillons sous-marins ou des écueils sournoisement cachés à certaines heures par les grandes eaux. C’est surtout à cette dernière intention que répond la lumière flottante des îles Scilly (Scilly islands).

Curieux de visiter ce vaisseau-fanal, situé à l’extrémité sud-ouest de l’Angleterre, je m’étais embarqué à Penzance en 1863. Ce que j’avais lu des îles Scilly me donnait d’ailleurs l’idée de terres dispersées et rocailleuses habitées plus ou moins par des phoques et des sauvages. Trente-six milles de mer séparent Penzance de Saint-Mary’s, l’endroit où je devais m’arrêter d’abord. Sur le pont, un homme à taille haute et flexible, la tête couverte d’une casquette, le pied aussi ferme que celui d’un marin sur les planches, allait et venait avec une agilité extraordinaire malgré les secousses et les soubresauts du bateau à vapeur. Il paraissait connaître tout le monde, même ceux qu’il n’avait jamais vus auparavant. Ayant sans doute deviné mon faible, il me désignait du doigt et me nommait tous les points curieux de la côte. Grâce à cet obligeant cicérone, je pus saluer en passant le Treryn Castle, formidable promontoire couronné d’un rocher mouvant (Logan Rock), le Runnel, sombre écueil couvert par la marée haute, les masses granitiques de Penwith, un des traits imposans du rivage, et enfin le Land’s End, qui se dessinait triste et superbe dans un lointain de deux à trois milles. Il en est de certaines beautés de la nature comme de certains événemens de l’histoire qui paraissent plus grands à distance. Bientôt nous perdîmes de vue la terre, et nous nous trouvâmes entre ciel et eau. S’il faut en croire la tradition, il fut un temps où cette solution de continuité n’existait nullement. Une langue de terre s’étendait entre ce qui est aujourd’hui le promontoire du Land’s End et les îles Scilly. C’étaient, assure-t-on, de vertes et fertiles campagnes, entremêlées de villages, surmontées par les flèches et les clochers de cent quarante églises. La contrée s’appelait alors Lethowsow ou Lionesse ; c’est encore le nom qu’on donne aujourd’hui au bras de mer qui sépare l’extrémité de la Cornouaille des îles Sorlingues[1] par un abîme d’une trentaine de milles. Selon d’anciens romanciers, la terre de Lionesse aurait même été le théâtre d’une sanglante bataille. Là, « pendant tout le jour, le bruit de la mêlée roula parmi les montagnes et sur le bord de la mer jusqu’à ce que tous les chevaliers de la Table-Ronde fussent tombés, homme à homme, autour de leur roi Arthur. » Où est maintenant cette terre

  1. C’est ainsi qu’on appelle les îles Scilly en France.