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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/109

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de beauté, et comment a-t-elle disparu ? Elle est au fond de la mer. De vagues récits de pêcheurs veulent que des débris de portes et de fenêtres, des fragmens de pierre à moulin et d’autres vestiges aient été recueillis de temps en temps dans les filets. Une ancienne famille du pays, celle des Trevillian, porte sur ses armes un cheval sortant des eaux, en souvenir d’un de ses ancêtres, qui durant l’inondation parvint à gagner le rivage de la Cornouaille, monté sur un coursier, intrépide nageur. Pourquoi faut-il que ces fables se trouvent démenties par l’autorité de Strabon, qui décrit les lieux à peu près tels qu’ils existent aujourd’hui ? La géologie n’a pourtant point de raisons pour rejeter le fond de la légende, depuis surtout que les théories de Lyell ont appelé l’attention sur les derniers envahissemens de la mer. Ces eaux sont assez profondes et assez tempétueuses pour avoir forcé une ancienne barrière. Quelques rochers isolés, tels que le Wolf (le Loup) et les Seven-Stones (les Sept-Pierres), paraissent bien être les débris d’un isthme qui, ébranlé par des convulsions souterraines ou miné peu à peu par les vagues, s’est un jour abîmé violemment dans l’Atlantique ; mais une sorte de nuage ou de voile impénétrable couvre la date de l’événement.

Après deux ou trois heures de pleine mer, nous aperçûmes à l’horizon comme un groupe de nuages pétrifiés : c’étaient les îles Scilly. Mon cicérone m’apprit alors qu’il était un habitant de Saint-Mary’s et m’offrit de m’accommoder, c’est-à-dire de me fournir un logement dans sa maison. Je n’aime point les auberges ; les hôtels sont aux voyages ce qu’est le lieu-commun aux discours : aussi j’acceptai de grand cœur sa proposition, et nous fîmes des arrangemens en conséquence. Je n’en admirai pas moins son habileté, et je commençai à revenir un peu de ma première opinion sur la naïveté des Scilloniens[1]. Chemin faisant, nous rencontrâmes un joli vaisseau, le Maiden Bower, tout couvert de drapeaux, qui avait été lancé le matin même et que nous étions chargés de remorquer, c’est-à-dire de reconduire en triomphe dans le port. Les deux équipages échangèrent d’un navire à l’autre de vigoureux hourras, les chapeaux se balancèrent en l’air par trois fois, et je compris, que c’était une manière de saluer le nouveau venu sur les mers, en lui souhaitant toute sorte de prospérités. Mon hôte (car déjà je le considérais ainsi) me dit que le Maiden Bower avait été construit dans les îles Scilly : ces sauvages possédaient donc au moins d’excellentes notions sur l’architecture nautique !

Nous côtoyâmes quelque temps de farouches rochers, prodigieuses forteresses de la nature. Le premier aspect de ces îles est

  1. Habitans des îles Scilly.