Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/155

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mieux aujourd’hui ?) associer l’esprit libéral et l’esprit gouvernemental dans la juste alliance qui seule pourra la terminer. L’un s’était laissé entraîner, égarer à tous les excès, qui en sont les plus funestes déviations, au point de rétablir la tyrannie sous la forme de l’anarchie démocratique. Par une réaction naturelle, l’esprit gouvernemental rentrait en scène, reprenait le dessus, et réclamait la part du lion. Or, comme l’esprit libéral, en poursuivant les réformes, a trop de pente à détruire sans réflexion, à tenter au hasard les nouveautés chimériques, l’esprit gouvernemental, dès qu’il entreprend de réparer les ruines de l’ordre, est porté, même avant d’aller se perdre dans le despotisme, à ne pas concevoir d’autres garanties sociales que celles du passé, d’autres formes pour le pouvoir que les formes historiques qu’il a constamment revêtues. Lors donc que, soixante ans avant l’heure où j’écris, il s’est agi de rétablir la religion, comme on disait, on ne comprit guère que ce pût être autre chose que la religion constituée par l’accord et dans le double intérêt des deux puissances. C’était là l’idée de tout le monde, ce qui en tout temps veut dire la portion de tout le monde qui a l’influence et le verbe haut. La religion n’est pas uniquement dogme, croyance, sentiment, devoir : elle est pour chaque pays, dans la commune estime, un établissement d’un certain genre ; c’est cet établissement qui subsiste dans la mémoire des nations, c’est lui que le mot de religion représente à l’imagination populaire. Quand les idées dites réactionnaires sont en vogue, aucune fondation n’est respectée et ne paraît solide, si elle n’a l’air d’une restauration. Cette disposition, ou si l’on veut cette illusion, dominait sous le consulat dans une partie de l’opinion publique et dans la pensée même du consul. L’esprit gouvernemental, qui était en lui à sa plus haute puissance, se complaisait à relever avec quelque rajeunissement ce qui n’était plus. Lui-même il ne se sentait jamais plus satisfait dans son orgueil et dans sa raison que lorsqu’il faisait renaître en lui les grandeurs du passé. Il se trouvait de sa personne une assez grande nouveauté pour suffire à ce qui restait de l’instinct novateur de la révolution. N’a-t-il pas réussi à le persuader à peu près à la nation ? Quel homme est mieux parvenu à faire partager ses propres illusions à son pays ? Il en est qui durent encore. Comment d’ailleurs le jeune guerrier qui ne connaissait la religion que pour l’avoir vue sous le ciel de sa chère Italie aurait-il inventé, pour satisfaire aux besoins moraux qu’elle exprime, de lui donner la forme républicaine ? De très bonne foi, il a cru répondre au vœu du pays, et du temps en refaisant du François Ier et du Louis XIV, et si par un retour sur lui-même il a songé à son succès, à son autorité, à sa gloire, il n’a pas dû concevoir le catholicisme autrement que le gros des catholiques, ni imaginer un autre moyen de