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Le curare[1] est une substance dont se servent certaines peuplades sauvages de l’Amérique du sud pour empoisonner leurs flèches, d’où le nom de poison de flèches qui lui a aussi été donné. Toutefois, la dénomination de poison de flèches comprenant des agens vénéneux très-divers, nous conserverons le nom de curare, généralement admis en Europe, pour désigner un poison américain qui est décrit dans les récits des voyageurs, et qui se caractérise d’ailleurs par ses effets physiologiques, ainsi qu’on le verra plus loin.

Le curare est connu depuis la découverte de la Guyane par Walter Raleigh en 1595. Raleigh, le premier, rapporta ce poison en Europe, sur des flèches empoisonnées, sous le nom de ourari. Beaucoup d’anciens voyageurs ont jugé à propos d’orner l’histoire du curare d’une foule de récits plus ou moins fabuleux, que nous devons passer sous silence pour ne nous arrêter qu’aux renseignemens qui ont un caractère scientifique. Dans un voyage fait en Amérique de 1799 à 1804, M. de Humboldt a pu assister à la fabrication du curare. C’est une sorte de fête comparable à celle des vendanges, la fiesta de las juvias. Les sauvages vont chercher dans les forêts les lianes du venin (juvias), après quoi ils font fête et s’enivrent avec de grandes quantités de boissons fermentées que les femmes préparent en leur absence. « Pendant deux jours, dit M. de Humboldt, on ne rencontre que des hommes ivres… » Lorsque tout dort dans l’ivresse, le maître du curare, qui est en même temps le sorcier et le médecin de la tribu, se retire seul, broie les lianes, en fait cuire le suc et prépare le poison. D’après ce qu’il a vu, M. de Humboldt admet que la composition du curare est exclusivement végétale, et que la propriété vénéneuse qu’il renferme est due à une plante de la famille des strychnées. MM. Boussingault et Roulin, qui ont visité l’Amérique du sud vingt-cinq ans plus tard, ont émis la même opinion ; mais Ch. Waterton, qui parcourut en 1812 les contrées de Démérary et d’Essequibo, fait entrer dans la préparation du curare, outre les substances végétales, des fourmis venimeuses de deux espèces et des crochets de serpens broyés. De même M. Goudot, qui a habité le Brésil pendant dix années, regarde le suc de lianes épaissi comme jouant simplement le rôle d’un excipient dans lequel on introduit ensuite du venin de serpent. À son retour en France en 1844, il a remis à M. Pelouze, qui me l’a communiquée, une note sur la préparation du curare, que je crois utile de transcrire ici.

  1. Encore nommé woorara, voorara, worari, wourari, wouraru, wurali, urari, ourari, ourary, etc., ou simplement veneno.