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« Le curare est préparé par quelques-unes des tribus les plus reculées qui habitent les forêts qui bornent le Haut-Orénoque, le Rio-Negro et l’Amazone, et qui, toutes ou presque toutes, sont anthropophages… La manière de préparer le curare varie dans chacune des tribus où il se fabrique, et celui qui est réputé le plus actif vient des nations voisines de l’empire du Brésil. Le procédé employé par les Indiens de Mesaya, qui ne sont éloignés que de vingt journées de la frontière de la Nouvelle-Grenade, est le seul à peu près connu, et encore ne l’est-il que très imparfaitement, car ces Indiens en font un grand secret, et il n’y a que leurs devins qui aient l’art de le préparer. Ces hommes, qui sont en même temps les prêtres et les médecins ou guérisseurs de sorts, emploient pour la préparation du poison une liane nommée curari, d’où le nom de curare donné au poison. Cette liane, coupée en tronçons et broyée, donne un suc laiteux abondant et très acre. Les tronçons écrasés sont mis en macération dans de l’eau pendant quarante-huit heures, puis on exprime et on filtre soigneusement le liquide, qui est soumis à une lente évaporation jusqu’à concentration convenable. Alors on le répartit dans plusieurs petits vases de terre, qui sont eux-mêmes placés sur des cendres chaudes, et l’évaporation se continue avec plus de soins encore. Lorsque le poison est arrivé à la consistance d’extrait mou, on y laisse tomber quelques gouttes de venin recueilli dans les vésicules des serpens les plus venimeux, et l’opération se trouve achevée lorsque l’extrait est parfaitement sec. »

Dans la relation d’une Expédition dans les parties centrales de l’Amérique du Sud, faite de 1843 à 1847 sous la direction de M. F. de Castelnau, il est encore fait mention de la composition du curare. Les auteurs de cette relation reviennent à l’opinion de MM. de Humboldt, Boussingault et Roulin, savoir que le curare est un poison végétal ; mais ils assurent en outre que les Indiens ne mettent aucun secret dans cette préparation. Enfin le dernier voyageur qui, à ma connaissance, ait écrit sur le curare, M. Émile Carrey, met tout le monde d’accord. Suivant lui, chez toutes les tribus, le curare aurait pour base un poison végétal identique : seulement il est des Indiens qui préparent le curare sans mystère et en y employant simplement les plantes actives, tandis que d’autres y ajoutent des substances plus ou moins singulières et entourent la fabrication de pratiques plus ou moins bizarres ; mais ce serait par superstition ou par pur charlatanisme que les maîtres du curare de certaines tribus en agiraient ainsi, afin d’augmenter le prestige de leur puissance ou de cacher la composition du poison aux étrangers.

Les Indiens se servent du curare pour empoisonner leurs flèches de chasse ou leurs flèches de guerre. Les flèches de guerre ont un dard fixe très acéré, formé par des os d’animaux ou par du bois très dur ; quelquefois le dard est garni d’épines disposées en sens inverse, de manière à empêcher le trait de sortir de la blessure. Les