Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/171

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flèches de chasse, destinées à être lancées au moyen d’un arc, sont pourvues d’un dard mobile ; celles qui doivent être lancées au moyen d’une sarbacane sont très petites, et ne forment en quelque sorte qu’un simple dard en bois de fer très effilé et muni d’une pointe très aiguë qui porte le poison. Outre ces armes toutes préparées, les Indiens ont encore leur provision de curare, qu’ils tiennent renfermée dans des petits pots de terre cuite ou dans des calebasses.

Le poison américain nous parvient en Europe sous ces trois formes. On ne peut se le procurer que par l’entremise des voyageurs ; il n’existe pas dans le commerce européen, et les Indiens en font l’objet d’un échange, soit entre eux, soit avec les étrangers. « Les Indiens de Mesaya, dit M. Goudot, une des tribus les plus féroces, préparent le curare et en font un commerce d’échange avec les habitans de la frontière de la Nouvelle-Grenade, qui, bravant les fièvres et les dangers de toute espèce, se hasardent à pénétrer jusqu’au fond des forêts qu’ils habitent, et leur portent des haches, des couteaux, des ciseaux, des aiguilles et quelques étoffes de coton grossier. Ils reçoivent en paiement du poison, de la cire d’abeilles presque aussi blanche que celle de Cuba, des fécules colorantes et du vernis qui peut être comparé à celui du Japon. »

Le curare contenu dans les petits pots de terre cuite et dans les calebasses est un extrait noir à cassure brillante, présentant assez bien l’aspect de l’extrait du jus de réglisse noir de nos droguistes. Le principe actif du poison est soluble dans l’eau, dans le sang et dans toutes les humeurs animales ; mais il est mélangé de beaucoup d’impuretés qui restent en suspension dans le liquide, et où le microscope fait reconnaître en grande partie des débris de végétaux. Le vrai curare paraît conserver son activité d’une manière indéfinie, même à l’état de solution dans l’eau. J’en conserve ainsi depuis plus de dix ans qui semble n’avoir rien perdu sensiblement de ses propriétés toxiques, bien qu’il se soit produit des moisissures en grande quantité à la surface du liquide. Comme l’eau, le sang et les humeurs animales, l’alcool dissout le venin curarique ; l’éther et l’essence de térébenthine au contraire le précipitent. MM. Boussingault et Roulin ont préparé, sous le nom de curarine, le principe actif du curare. Toutefois le corps qu’ils ont obtenu n’est point cristallisable et défini ; la curarine est une substance d’apparence cornée, très hygrométrique, très soluble dans l’eau et dans l’alcool.

Les caractères qui viennent d’être indiqués, de même que l’inaltérabilité du curare à l’ébullition et aux agens chimiques, ne sauraient permettre aucune induction sur la nature animale ou végétale du poison. En effet, c’est par erreur que l’on a cru jusqu’ici que