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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/183

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celles que Magendie avait faites pour d’autres poisons, et qui ont été bien souvent confirmées, s’expliquent physiologiquement d’une manière très simple : tant que le poison restait sous la peau de la jambe au-dessous de la ligature, il ne pouvait pas arriver au cœur, parce que cette ligature empêchait le sang veineux de passer et de l’y transporter. Le poison, avons-nous dit, n’est actif que lorsque, étant parvenu au cœur, il peut se répandre par les artères, et arriver ainsi à tous les élémens organiques ; mais là encore nous pouvons, à l’aide d’un artifice expérimental, empêcher le poison de se généraliser. Si nous lions l’artère d’un membre par exemple, nous empêcherons le sang empoisonné d’être porté aux élémens organiques de ce membre, et nous leur conserverons la vie, tandis que tout le reste du corps aura ressenti les atteintes délétères de la substance toxique. En un mot, en arrêtant le poison dans les veines, on sauve tout l’individu ; en arrêtant le poison dans les artères, on ne sauve que la partie du corps à laquelle l’artère oblitérée portait le sang.

Après cet exposé sommaire de quelques notions physiologiques qu’il était nécessaire de rappeler, revenons aux effets du poison américain. Nous aurons à rechercher d’abord sur quel élément organique particulier du corps il a porté son action toxique, et à déterminer ensuite le mécanisme par lequel la mort de cet élément a pu amener la mort de tout l’organisme.


IV.

Dans le mois de juin 1844, je fis ma première expérience sur le curare : j’insinuai sous la peau du dos d’une grenouille un petit fragment de curare sec, et j’observai l’animal. Dans les premiers momens, la grenouille allait et sautait comme avant avec la plus grande agilité, puis, elle resta tranquille. Au bout de cinq minutes, les jambes de devant cédèrent, le corps s’aplatit et s’affaissa peu à peu. Après sept minutes, la grenouille était morte, c’est-à-dire qu’elle était devenue molle, flasque, et que le pincement de la peau ne déterminait plus chez elle aucune réaction vitale. Je procédai alors à ce que j’appelle l’autopsie physiologique de l’animal.

Des mesures sages, et que tout le monde approuve, empêchent de faire chez l’homme les autopsies avant qu’il se soit écoulé vingt-quatre heures depuis le moment de la mort. Cette circonstance diminue considérablement l’importance scientifique des autopsies cadavériques. En effet, la vie ne cesse pas parce que tout notre corps est mort à la fois, mais seulement parce que un ou plusieurs de