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les mouvemens. L’arrêt des mouvemens respiratoires produit particulièrement ce résultat en empêchant dans le milieu organique sanguin l’aération, qui est indispensable pour entretenir la vie de tous les élémens organiques qui nous composent. Si le cœur conserve encore ses mouvemens, cela prouve, ainsi qu’on le savait déjà, qu’il n’est pas influencé par le système nerveux comme les autres muscles, ce qui lui permet d’être, suivant l’expression de Haller, l’organe primum vivens et l’organe ultimum moriens. En outre la démonstration de cette action nette et caractéristique du curare, qui tue l’élément nerveux et respecte l’élément musculaire, a résolu la question de ce qu’on appelait l’irritabilité hallérienne, en prouvant expérimentalement que la propriété contractile du muscle est distincte de la propriété du nerf qui l’excite, puisque le poison parvient à les séparer immédiatement l’une de l’autre.

Cette première expérience analytique faite sur la grenouille a ensuite été répétée de la même manière sur d’autres animaux plus rapprochés de l’homme et appartenant à la classe des oiseaux et des mammifères. J’ai constaté des résultats tout à fait semblables, et l’autopsie physiologique me montra que, comme chez la grenouille, l’élément nerveux moteur avait été seul atteint par le curare, tandis que les autres élémens organiques avaient conservé leurs propriétés physiologiques. L’observation attentive des symptômes de l’empoisonnement sur les animaux élevés vint me révéler des particularités intéressantes relatives à la sensibilité et à l’intelligence. Un chien d’une humeur douce avait été blessé par une flèche empoisonnée. D’abord l’animal ne s’en aperçut pas : il courait, gambadait joyeusement comme à l’ordinaire ; mais bientôt, comme s’il eût été fatigué, il se coucha sur le ventre, dans une attitude très naturelle. Quand on appelait le chien, il répondait à l’appel ; il se levait et venait, mais après des sommations réitérées et avec une sorte de lassitude. Peu de temps après, le chien ne pouvait plus se lever malgré ses efforts ; il avait conservé toute son intelligence et ne paraissait nullement souffrir ; seulement ses jambes, et particulièrement celles du train de derrière, n’obéissaient plus à sa volonté. Lorsqu’on parlait à l’animal, il répondait parfaitement bien par les mouvemens de la tête, par l’expression des yeux et par l’agitation de la queue ; mais un peu plus tard la tête tomba, l’animal ne pouvait plus la soutenir. Le chien était alors couché et respirait avec calme, comme un animal qui aurait reposé tranquillement ; si on l’appelait, sa queue seule pouvait s’agiter, et ses yeux se tourner encore et sans aucune expression de souffrance, pour montrer qu’il entendait. Enfin les mouvemens respiratoires cessèrent peu à peu, et les yeux étaient déjà devenus ternes et sans vie que des mouve-