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mens légers de la queue venaient témoigner que le chien entendait encore celui qui lui parlait.

Un autre chien d’une nature féroce, et cherchant à mordre tous ceux qui l’approchaient, fut piqué par une flèche empoisonnée. Pendant les premiers momens, l’animal farouche, blotti dans son coin, faisait entendre des grondemens mêlés d’aboiemens toutes les fois qu’on se dirigeait vers lui. Après six ou sept minutes, l’animal se coucha, ses jambes ne pouvaient plus le soutenir, et ses cris s’éteignirent, mais il n’en était pas moins furieux. Toutes les fois qu’on approchait, il montrait les dents et roulait des yeux flamboyans. Quand on lui présentait un bâton, il le mordait avec force et avec une rage silencieuse. Cette rage ne s’éteignit qu’avec la vie, et lorsque le chien ne pouvait plus la manifester par ses lèvres et par ses dents, elle était encore dans ses regards, qui, les derniers, exprimèrent sa furie.

Les deux expériences qui précèdent nous montrent que dans la mort par le curare l’intelligence n’est point anéantie ; chacun de nos animaux a conservé son caractère jusqu’au bout, et si les manifestations caractéristiques ont disparu, ce n’est pas parce qu’elles se sont réellement éteintes, mais parce qu’elles se sont trouvées successivement refoulées et comme envahies par l’action paralytique du poison. En effet, dans ce corps sans mouvement, derrière cet œil terne, et avec toutes les apparences de la mort, la sensibilité et l’intelligence persistent encore tout entières. Le cadavre que l’on a devant les yeux entend et distingue ce que l’on fait autour de lui, il ressent des impressions douloureuses quand on le pince ou qu’on l’excite. En un mot, il a encore le sentiment et la volonté, mais il a perdu les instrumens qui servent à les manifester : c’est ce que nous allons montrer en poussant plus loin notre analyse physiologique.

Rappelons-nous pour un instant que le curare ne peut exercer son action toxique qu’après avoir été porté par les artères et mis en contact avec nos élémens organiques. Rappelons-nous encore qu’en liant ou en obstruant une artère d’un membre ou d’une autre partie du corps, on peut ainsi préserver cette partie de l’empoisonnement qui envahira tout le reste de l’organisme. Or à l’aide de ce membre ou de cette partie réservée, ne fût-ce même qu’une fibre musculaire, l’animal pourra manifester ce qu’il sent et montrer que son intelligence, qui avait été en quelque sorte saisie dans un cadavre, n’avait pas été abolie. Ces expériences analytiques se démontrent particulièrement bien chez les animaux à sang froid à cause de la persistance plus longue des propriétés élémentaires des tissus après l’arrêt de la circulation artérielle.

Sur une grenouille très vivace, j’ai intercepté le passage du sang