Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/189

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vement existent, la contractilité et par conséquent la possibilité d’exécution du mouvement existent ; mais par cela seul que l’élément nerveux moteur qui forme le trait d’union de la sensibilité au mouvement est détruit par le poison, tout nous semble anéanti. En effet, la sensibilité, comme toutes les facultés qui ont pour siége le système nerveux, n’a aucune possibilité de se manifester par elle-même. Il faut absolument à ces facultés le système contractile ou musculaire sous une forme quelconque pour signaler leur présence ou se traduire à l’extérieur. Par conséquent nous ne pouvons juger des sensations des hommes et des animaux que par leurs mouvemens. Cependant, chez les animaux empoisonnés par le curare, nous aurions été dans l’erreur la plus complète, si de l’absence du mouvement nous avions conclu à l’absence de la sensibilité. Cet exemple prouvera une fois de plus que nous n’avons de criterium absolu que dans notre conscience, et que dès que nous nous livrons aux interprétations des phénomènes qui sont en dehors de nous, nous ne sommes entourés que de causes d’erreur et d’illusions.


V.

La science s’arrête aux causes prochaines des phénomènes ; la recherche des causes premières n’est pas de son domaine. Le savant a donc atteint son but quand, par une analyse expérimentale successive, il est parvenu à rattacher la manifestation des phénomènes à des conditions matérielles exactement définies. De cause en cause il arrive finalement, suivant l’expression de Bacon, à une cause sourde qui n’entend plus nos questions et ne répond plus. Toutefois la cause prochaine à laquelle nous devons nous arrêter ne peut jamais être considérée comme la limite absolue de nos connaissances ; elle n’est sourde qu’à nos trop faibles moyens actuels d’investigation.

Dans notre analyse physiologique, nous sommes arrivés à localiser l’action du poison américain sur l’élément nerveux moteur et à déterminer, comme conséquence, un mécanisme de la mort propre à cet agent toxique ; mais devons-nous nous arrêter là et sommes-nous parvenus à la limite que la science actuelle nous permet d’atteindre ? Je ne le pense pas. Non-seulement il y aurait encore lieu d’isoler chimiquement le principe actif du curare des matières étrangères auxquelles il est mélangé ; il y aurait en outre à déterminer quel genre de modification physique ou chimique la substance toxique imprime à l’élément organique pour en paralyser l’action. Quant à présent, nous ignorons complètement quelle peut