Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/190

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être la nature de cette influence. Cependant nous savons à ce sujet une chose importante, c’est que, loin de produire une altération toxique définitive qui détruise pour toujours l’élément organique, ainsi que le font beaucoup de poisons, le curare ne détermine qu’une sorte d’inertie ou d’engourdissement de l’élément nerveux moteur. Il en résulte une paralysie de cet élément qui dure tant que le curare reste dans le sang en contact avec lui, mais qui peut cesser quand le poison est éliminé. De là il résulte cette conséquence importante, que la mort par le curare n’est point sans appel, et qu’il est possible de faire revenir à la vie un animal ou un homme qui aurait été empoisonné par cet agent toxique.

Pour comprendre le mécanisme du retour à la vie, il faut nous rappeler le mécanisme de la mort, et si la théorie que nous en avons donnée est bonne, les deux mécanismes doivent se contrôler réciproquement et pouvoir se déduire l’un de l’autre. Le curare introduit avec le sang va se mettre en contact avec les élémens organiques et paralyser d’une manière successive tous les mouvemens volontaires. D’abord les nerfs moteurs des organes de la voix sont paralysés ; mais la vie n’en continue pas moins, parce que l’animal respire toujours. Ce n’est que quand les mouvemens respiratoires du thorax viennent à cesser que la mort réelle de l’organisme commence. Tous les élémens organiques du corps vont alors être atteints, parce qu’un élément indispensable à tous, l’air ou l’oxygène, va manquer dans le sang, leur milieu organique. Sans doute le cœur, qui continue abattre, fait circuler le sang, mais ce sang ne prend plus d’oxygène dans les poumons paralysés, et l’asphyxie de tous les élémens organiques arrivera avec une rapidité plus ou moins, grande suivant la nature des animaux, mais d’une manière infaillible pour tous. Nous voyons ainsi que la destruction de l’élément nerveux moteur ne tue pas directement, comme si cet élément seul représentait le principe de la vie. La soustraction de l’élément nerveux moteur tue parce que, les autres élémens qui avaient des rapports avec lui ne pouvant plus fonctionner, il en résulte une dislocation de la machine vivante tout entière. De même un édifice s’écroule quand on enlève une de ses pierres fondamentales.

En résumé, c’est donc le manque d’oxygène ou l’asphyxie qui amène la mort dans l’empoisonnement par le curare. S’il en est ainsi, c’est l’oxygène qu’il faut rendre pour rappeler à la vie, et le contre-poison sera simplement la respiration artificielle, c’est-à-dire un soufflet qui, remplaçant les mouvemens respiratoires éteints, introduira graduellement, et avec les précautions convenables, de l’air pur dans les poumons. On peut dire alors qu’on tient dans ses mains l’existence de l’individu empoisonné, et la vie nous apparaît