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comme un pur mécanisme dont nous pouvons faire mouvoir les rouages, mais que nous ne pouvons localiser dans aucun d’eux exclusivement ; elle n’est nulle part et se rencontre partout.

Sous l’influence de la respiration artificielle, le sang continuera donc à circuler et à se charger d’oxygène : de cette manière, les élémens organiques que le curare n’a pas atteints continueront à vivre ; mais le poison lui-même, en circulant avec le sang, finira par s’éliminer par les divers émonctoires et particulièrement par les urines, de sorte qu’après un temps suffisant tout le curare sera sorti du sang, et l’élément nerveux moteur, qui n’avait été qu’engourdi par son contact, mais non désorganisé, se réveillera en quelque sorte et reprendra ses fonctions dès que l’agent qui le paralysait aura disparu. Alors le rouage vital brisé sera raccommodé, et la machine pourra reprendre et entretenir seule son mouvement naturel. Telle est l’explication très simple du retour à la vie des animaux empoisonnés par le curare au moyen de la respiration artificielle.

En 1815, Waterton et Brodie inoculèrent du curare à une ânesse, qui mourut en dix minutes. On lui fit alors une incision à la trachée artère, et on lui gonfla régulièrement les poumons pendant deux heures avec un soufflet. La vie suspendue revint : l’ânesse leva la tête et regarda autour d’elle ; mais, l’introduction de l’air ayant été interrompue, elle retomba dans la mort apparente. On recommença aussitôt la respiration artificielle et on la continua sans interruption pendant deux heures encore. Ce moyen sauva l’ânesse ; elle se leva et marcha sans paraître éprouver ni agitation ni douleur. La blessure du cou et celle par laquelle le poison était entré guérirent facilement. Après un peu de fatigue, l’animal se rétablit tout à fait et devint par la suite gras et pétulant. D’autres expérimentateurs, M. Virchow de Berlin entre autres, ont observé des faits semblables sur des chiens, des chats et des lapins. J’ai souvent moi-même répété ces expériences et constaté que chez l’animal sauvé le poison était passé dans l’urine, de sorte qu’en concentrant ce liquide, on y retrouvait le curare avec ses propriétés toxiques ordinaires.

L’insufflation artificielle peut très bien être appliquée à l’homme, et il existe des appareils pour la pratiquer. Si un homme était empoisonné par le curare, la seule manière connue de le sauver consisterait à le faire respirer artificiellement ; mais, quand on peut agir aussitôt après la blessure, il y a d’autres moyens d’empêcher l’empoisonnement d’avoir lieu, non par des médications empiriques et illusoires, mais par des procédés physiologiques dont la science comprend et règle l’action. Si la blessure a eu lieu dans un membre, la première chose à faire est de poser une ligature sur ce