Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/22

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le monde criait à la folie, la famille à la captation et aux conseils intéressés des prêtres. Albine, irritée outre mesure, cessa presque de la voir, ou ne la vit plus des mêmes yeux. Sentant bien que la cupidité d’un côté, l’orgueil du nom de l’autre, inspiraient cette persécution de ses proches, Marcella tenta de les apaiser en abandonnant une partie de ses biens à des collatéraux qui pouvaient continuer la famille ; elle se défit ainsi de ses pierreries et de ses meubles les plus précieux, ne gardant aucun ornement d’or, pas même son cachet. Sans dire adieu au monde, elle se condamna dès lors à ne porter ni fard, ni soie, mais la toilette la plus simple, presque toujours de couleur brune. « Elle s’ensevelit, dit un contemporain, sous le linceul d’une viduité perpétuelle. » Marcella croyait par cette vie modeste échapper aux soupçons méchans, elle y fut en butte plus qu’une autre ; aux calomnies, elle en fut accablée ; il n’y eut pas de conte absurde qu’on ne débitât sur sa vie, et elle éprouva de toutes ces injustices la plus poignante douleur.

Elle prit enfin le parti d’une retraite absolue. Elle acheta ou loua, dans un des faubourgs de Rome, une petite maison entourée d’un jardin spacieux ; elle fit de la maison son ermitage, du jardin son désert : elle y passa ses journées, se livrant en paix, loin des yeux jaloux, à la contemplation, à la prière, aux austérités. Elle ne paraissait plus en public qu’à certaines heures et accompagnée de sa mère pour se rendre aux tombeaux des apôtres. Cependant cette retraite absolue, loin de la ville, ne remplissait que la moitié de son but, car rentrée dans sa demeure, elle y retrouvait la vie du monde. Une autre veuve chrétienne, Sophronie, excitée par son exemple, s’était arrangé une petite cellule dans sa propre maison sans sortir de Rome ; Marcella voulut en faire autant. L’habitation qu’elle tenait de sa famille était un vaste palais situé sur le mont Aventin, elle en consacra une partie à des réunions pieuses, et à un oratoire où l’on devait prier en commun : le premier couvent de Rome naquit ainsi sous des lambris dorés.

Au fond, Marcella, malgré les inimitiés, malgré les clameurs de l’intérêt et les mensonges de l’esprit de parti, était respectée et aimée : elle vit accourir à elle tout ce qu’il y avait de chrétiennes ferventes dans son entourage. La nouveauté, la curiosité, l’entraînement de la mode, en amenèrent d’autres. Il s’organisa de la sorte un conventicule de femmes riches, influentes, appartenant pour la plupart au patriciat, et l’oratoire du mont Aventin devint le siège d’une puissance laïque avec laquelle bientôt le clergé lui-même dut compter. Pour montrer de quel poids les efforts combinés de ces femmes pouvaient, en certaines circonstances, peser sur les affaires de l’église, il me suffira d’en nommer quelques-unes, que nous re-