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des âmes adolescentes qui ne connaissent des passions que les douceurs de leurs débuts, chez qui la sensualité, nouvellement éveillée, est encore voisine de la pudeur de l’enfance. Ajoutez que ses personnages ont tous cette netteté de caractère, cette franchise facile qui provient moins d’une vertu de l’âme que d’une disposition de la nature chez les êtres jeunes à qui la vie n’a pas encore appris la duplicité. Pas de personnage rusé, pas de traître, pas de coquetterie artificieuse, pas d’effronterie vicieuse comme chez Guarini. Ce n’est pas le Tasse qui aurait jamais inventé les scènes si comiquement et si mondainement vraies de Corisca et du satyre dans le Pastor fido. Comme les jeunes gens encore, le Tasse fait tout passer et se fait tout pardonner. Le libertinage fréquent de ses pensées s’enveloppe de grâce et ne descend jamais au cynisme. Il a un art incomparable pour dire les choses grivoises ; voyez plutôt certaines parties dû dialogue du premier acte entre Daphné et Tircis. Par sa gentillesse dans l’expression des choses de la volupté, le Tasse tranche sûr les autres Italiens, qui y mettent d’ordinaire plus de mâle sensualité et de bonhomie ordurière. Le langage de l’Aminta enfin, par sa douceur, sa mollesse, ses diminutifs, ses zézaiemens, ne peut se comparer qu’à cette musique frissonnante que la volupté fait courir dans l’être des adolescens, et l’on peut dire de cette lecture qu’elle compose la plus longue pâmoison qu’il soit donné à l’imagination d’éprouver.

Cette adolescence du génie du Tasse est partout marquée. Il possède au plus haut degré, et tel qu’aucun poète ne l’a possédé, le sentiment de l’aurore et du matin de toute chose, aurore de la vie eu matin du jour, de tout ce qui est jeune dans la nature comme dans l’homme. Voyez-le dans ses descriptions de la nature, principalement dans cette description des jardins d’Armide, imitation des jardins d’Alcine, où il a battu positivement le grand Arioste par l’harmonie voluptueuse et la gracieuse invention des détails. C’est le tableau de la nature et de l’âme humaine à leur printemps. On peut dire que tous les détails de cet admirable tableau correspondent exactement à la neuvième heure de la matinée, l’heure où le jour entre dans son adolescence, tant chacun de ces détails est bien choisi pour donner une impression de la chaude saison sans que la chaleur y ait place. Aucune maladroite nuance ne vient y rappeler la pourpre du midi ou les langueurs embrasées du soir. Une lumière tiède, blanche, radieusement incolore, éclaire un paysage eu tout respire une mollesse ardente et une fraîche ardeur. Un concert s’élève du milieu de cette scène, un concert composé tout entier de voix de femmes et de voix d’adolescens, où’ la basse virile n’a point de place, musique de l’âme aux débuts de sa vie passionnée, lorsque de toutes les voix qui sont en elle il ne s’est