Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/244

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deux scènes dramatiques et deux divertissemens, et que les parties qui ne sont pas de pur ornement ou de pure mélodie nous fatiguent comme de trop longs récitatifs. Quel superbe tableau d’opéra que la forêt enchantée, et combien propre aux effets de feu de Bengale ! Quel admirable motif de ballet que le séjour de Renaud dans les jardins d’Armide ou son entrée dans cette même forêt enchantée ! Quel merveilleux décor que le décor de la chambre souterraine des pierres précieuses ! Et les scènes de chant et de déclamation, les motifs de duos, de trios, de mélodies, comme ils abondent dans ce modèle du libretto ! Duo d’Olinde et de Sophronie, plaintes de Tancrède sur le corps de Clorinde, chansons rustiques du pâtre hospitalier qui recueille Herminie, grand air d’Armide à la fuite de Renaud, concerts de la forêt enchantée et des jardins d’Armide, duo d’Argant et de Tancrède, chœurs de démons, chœurs de guerriers ; ajoutez des groupes composés de nymphes, de pages, d’ermites, et dites s’il est un spectacle plus complet.

Le Tasse a donc une importance capitale dans l’histoire des évolutions du génie italien, quoique cette importance se dérobe au premier coup d’œil et qu’il soit nécessaire de quelque attention pour la découvrir. Il marque une date mémorable qui ne se rencontre dans aucun livre d’histoire, et quand on vous demandera à quelle époque le génie italien a commencé à opérer sa métamorphose et a passé de la poésie à la musique, répondez hardiment : A l’époque qui est comprise entre la représentation de l’Aminta et la publication de la Gerusalemme. Il a encore une autre importance ; il a donné le baptême du génie au dernier des genres poétiques enfantés par la renaissance, à celui qui marque le terme de la fécondité de ce grand renouvellement intellectuel. Nous voulons parler de ce genre du drame pastoral éclos à la cour de Ferrare d’une pensée de divertissement, et qui, parti d’un commencement modeste, allait arriver à la plus haute fortune et parcourir la plus enviable destinée. Pendant près d’un siècle, la pastorale allait devenir le genre dominant en Europe et marquer tous les autres genres littéraires de son empreinte. Où ne retrouve-t-on pas le drame pastoral durant cette période qui va de la veille de la Saint-Barthélémy à la fin du règne de Louis XIII ? Une fois sorti de son pays natal, il se développe, grandit, et son ambition croît avec chaque marque de faveur qu’il reçoit dans ses nouvelles patries adoptives. En Espagne, il devient le genre à la mode et obsède si bien l’imagination de Cervantes que ce grand homme lui permet de s’introduire dans son chef-d’œuvre, au risque de le gâter. En France, il se mêle au drame et à la comédie, leur fait porter ses travestissemens, et inspire à Honoré d’Urfé le premier modèle du roman français ; mais là où il atteint la plus haute fortune, c’est en Angleterre, où il rencontre des interprètes