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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/249

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absolue dans l’organisme de nos institutions entre l’autorité et la liberté. Il n’a pas l’air de se douter qu’une liberté qui ne peut rien sur l’autorité, qui n’a pas de moyen d’atteindre le pouvoir pour influer sur sa conduite, n’est qu’une liberté négative, une liberté qui ne peut faire que ce que l’autorité lui permet ou plutôt lui prescrit de faire. Nous demandons pardon à nos lecteurs d’effleurer d’aussi puériles abstractions. M. le duc de Persigny en est encore à la théorie artificielle du bonhomme Sieyès, qui offrait au premier consul une constitution où chaque pouvoir devait agir dans une sphère séparée, sans engrenage, sans contact, sans frottement et sans choc avec les autres pouvoirs. On sait ce que le premier consul pensa du rôle que cette constitution faisait au chef du pouvoir exécutif. Bonaparte, suivant son énergique expression, ne voulut pas que le chef du pouvoir fût un porc à l’engrais ; il prit tout pour l’autorité, et laissa subsister les autres rouages de Sieyès se mouvant dans le vide au gré du pouvoir. Il tira de ce système ingénieux le despotisme ; dès lors, malgré ce qui survécut, du mécanisme de Sieyès, il n’y eut plus de liberté, ou, pour parler comme Bonaparte, ce fut la liberté qui fut le porc à l’engrais. C’est ce qui devra arriver toutes les fois qu’on réalisera cette séparation entre les pouvoirs, si vantée par M. de Persigny. Quand les organes de la liberté ne pourront avoir aucune prise sur les organes de l’autorité, ceux-ci seront omnipotens ; on n’aura qu’une des formes du pouvoir absolu. Sur la question de la variété des formes de l’absolutisme et de la liberté, nous sommes de l’avis de M. de Persigny. Des constitutions diverses qui placent l’influence politique dans des classes différentes ou qui organisent d’une façon différente les relations mutuelles des pouvoirs publics peuvent produire également la liberté. C’est là un fait d’observation et d’expérience. À coup sûr, la constitution des États-Unis n’est pas la même que celle de l’Angleterre, la constitution de la Belgique est autre que celle de la Suisse ; cependant les États-Unis comme l’Angleterre, la Belgique comme la Suisse, la monarchie aristocratique, la monarchie démocratique, la république démocratique, vivent et prospèrent sous nos yeux avec et par la liberté. En Suisse, en Belgique, en Amérique, en Angleterre, la pensée est libre, la parole est libre, on s’associe librement, on se réunit librement, le peuple élit librement ses représentans, et par toutes les fonctions de la liberté politique agit à chaque instant sur l’autorité, ou, pour mieux dire, s’infuse dans l’autorité elle-même. Nous faisons à la constitution actuelle de la France l’honneur de croire qu’elle n’est point incompatible avec ces libertés ; mais, pour prouver qu’elle a déjà fondé la liberté parmi nous, il eût fallu que M. de Persigny pût être en mesure d’affirmer qu’elle nous a donné ces libertés essentielles et vitales dont jouissent autour de nous, avec des institutions à la vérité très diverses, l’Angleterre, la Belgique, la Suisse, quelques états d’Allemagne et l’Italie. Cette affirmation, hélas ! quel est l’intrépide qui oserait se la permettre avec le système qui régit la