Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/252

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bruits qui couraient à ce propos. Ces bruits avaient évidemment un fondement sérieux, puisque M. le duc de Persigny combat avec une chaleur particulière l’idée seule de l’apparition possible des ministres dans la chambre des députés. L’ancien ministre verrait dans un tel fait un abaissement du pouvoir, une corruption de la constitution. L’opinion de M. de Persigny nous toucherait peut-être davantage, s’il était un grand orateur, s’il possédait la faculté divine de conduire par l’autorité de sa parole les délibérations d’une grande assemblée ; son opinion alors se recommanderait par un désintéressement et une abnégation qui donneraient à réfléchir. Peut-être la modestie de M. de Persigny lui fait-elle illusion ; peut-être, s’il redevenait ministre, soutiendrait-il sa politique avec plus de saveur, de verdeur et de piquant qu’un commissaire du gouvernement. Lâchant à brûle-pourpoint aux représentans du pays les idées dont il est imbu, peut-être ferait-il faire à l’éducation politique de la France d’utiles progrès auxquels il participerait lui-même. Quoi qu’il en soit, nous ne voyons pas pourquoi les ministres qui ont la langue bien pendue se la couperaient pour se mettre au niveau de collègues moins heureusement doués. Le mérite sinon le talent de la parole ne s’est en aucun temps séparé, chez les hommes d’état, de l’élévation des facultés intellectuelles et de l’expérience acquise dans les grandes affaires. Il n’est point naturel, à notre époque surtout, que des hommes d’état, se condamnant au silence, renoncent à l’action de leur talent sur les assemblées et sur le public. Mais la tribune est pour des ministres une sellette au gré de M. de Persigny ! Nous sommes fâchés que la tribune ait cet effrayant aspect à ses yeux ; qu’en sait-il ? Qu’il demande à M. Guizot, à M. Thiers, s’ils se sont jamais sentis humiliés sur ce glorieux piédestal où rayonnera longtemps leur figure historique ? Qu’il demande à, M. Gladstone, à M. Frère-Orban, qu’il demande à M. Rouher s’ils sentent leur personne ou leur pouvoir abaissés quand ils unissent en face d’une assemblée la force ou l’éclat de leur talent au prestige de l’autorité gouvernementale. M. de Persigny est ici obsédé d’images du passé, et ces images, il n’était pas placé au bon point d’optique pour en saisir la vraie lumière et la vraie couleur. Non-seulement il résiste à la tendance qui semble devoir conduire les ministres devant les chambres, mais il gémit des pas qui ont été déjà faits dans cette direction ; il déplore qu’on ait vu le conseil d’état s’absorber peu à peu et se personnifier, en face des chambres, dans un président, puis dans des ministres sans portefeuille, puis encore dans des vice-présidens, en attendant peut-être d’autres incarnations. Le progrès à ses yeux consisterait à revenir en arrière. Il est autorisé à croire, dit-il, que l’expérience fera renoncer à des combinaisons qui présentent en partie les inconvéniens du régime parlementaire sans en avoir les avantages. Il est convaincu qu’on reviendra tôt ou tard à l’idéal de la constitution, et que le conseil d’état seul, cessant de s’absorber et de se personnifier dans son président et ses vice-présidens, conduira au