Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/307

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dans le programme des alliés. Il voulait donner à une entreprise si coûteuse un but sympathique et capable d’entraîner la nation ; il voulait « passionner la guerre, » comme on le disait alors dans les sphères politiques de Paris. Le cabinet des Tuileries n’avait pas encore, à l’époque dont nous parlons, cette vive répugnance contre toute invocation des traités de Vienne qui plus tard devait apporter tant de difficultés aux négociations de 1863 ; il se plaça résolument alors sur le terrain de 1815, et chargea son ambassadeur à Londres de sonder à cet égard les dispositions du cabinet de Saint-James. La dépêche de M. Drouyn de Lhuys, du 26 mars 1855, exposait d’une manière claire et précise le côté légal de la question polonaise, démontrant que « les conditions qui furent faites à l’empereur Alexandre, quand l’Europe consentit à la réunion de la plus grande partie du duché de Varsovie à l’empire russe sous le nom de royaume de Pologne, avaient un caractère strictement obligatoire. Elles constituaient pour les cabinets une compensation nécessaire à une acquisition qui donnait à la Russie des positions formidables au cœur de l’Europe centrale. » Le tsar s’était affranchi de ces obligations, l’Europe avait protesté à plusieurs reprises sans vouloir cependant troubler la paix pour demander une réparation immédiate ; « mais puisque la Russie elle-même a, de plein gré, rompu cette paix au maintien de laquelle nous ayons sacrifié de justes griefs, puisqu’elle nous a forcés à prendre les armes pour empêcher de sa part une nouvelle violation du droit, le moment nous semble venu de se rappeler les engagemens qu’elle avait pris avec l’Europe relativement au royaume de Pologne, et dont elle s’est affranchie. » Lord Clarendon trouva qu’une « pareille initiative était impolitique et impraticable en cette circonstance. » Il est de règle chez les hommes d’état de la Grande-Bretagne de ne pas se lier d’avance par des engagemens quelconques dans la conduite des négociations. Du reste, ce que désirait surtout alors l’Angleterre, c’était d’affaiblir la puissance russe en Asie ; la Circassie, par exemple, l’intéressait à ce moment, l’intéresse encore aujourd’hui beaucoup plus que la Pologne, et c’est ainsi que le gouvernement français échoua dans sa tentative du printemps de 1855. Avec le développement de la guerre pourtant, il n’est pas douteux que la question ne fût revenue et ne se fût imposée plus impérieusement au cabinet de Londres ; mais la moitié de Sébastopol venait d’être prise, la politique française fut tentée, alors comme depuis, de prendre un demi-succès du moment pour l’accomplissement d’une œuvre entreprise d’abord en vue du grand avenir ; puis la disparition de Nicolas avait enlevé le principal obstacle à des ouvertures de paix, car il fut dans la destinée de cet homme d’être aussi