Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/313

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prince Gortchakov à lord Napier, chargé par son gouvernement de sonder les dispositions de la Russie dans des occurrences aussi graves. L’Angleterre faisait alors son possible pour empêcher la guerre d’Italie d’éclater, — quitte à se proclamer plus tard la libératrice de la péninsule et à faire des pèlerinages vers Garibaldi.— Lord Cowley, envoyé avec un certain fracas en mission à Vienne, s’évertuait à découvrir les bases possibles d’un accommodement, et déjà le cabinet de Saint-James se flattait de l’espoir d’avoir enchaîné la tempête, quand le prince Gortchakov vint subitement proposer un congrès et prononcer ce mot fatal qui semble maintenant destiné à devenir le signal d’un sauve qui peut parmi les plénipotentiaires et comme la traduction diplomatique du verset de la Bible : Dicunt pax, pax, et non est pax ! Ce mot en effet opéra son charme alors comme depuis. Lord Derby se plaignit amèrement de l’affreux, tour que lui avait joué la proposition venue de Saint-Pétersbourg, et on n’a jamais douté en Angleterre qu’elle n’eût été amenée par un coup de télégraphe parti de Paris. Il est singulier, dans tous les cas, de voir ainsi le vice-chancelier russe colporter le premier ce remède infaillible, cette panacée universelle, qui plus tard devait être si souvent recommandée pour tous les maux chroniques de l’Europe. Ce qui est beaucoup plus instructif, c’est de relire maintenant, à la lueur des expériences récentes, la circulaire du 27 mai 1859, par laquelle le prince Gortchakov faisait l’apologie du congrès, tel qu’il l’avait proposé. « Ce congrès, disait-il, ne plaçait aucune puissance en présence de l’inconnu : le programme en avait été tracé d’avance. L’idée fondamentale qui avait présidé à cette combinaison n’apportait de préjudice à aucun intérêt essentiel. D’une part, l’état de possession territoriale était maintenu, et d’autre part il pouvait sortir du congrès un résultat qui n’avait rien d’exorbitant ni d’inusité dans les relations internationales. » Pesez bien chaque mot de cette apologie : n’y trouvez-vous pas la plus curieuse et la plus substantielle critique, faite pour ainsi dire par anticipation, du projet de congrès que, cinq ans plus tard, vers la fin de 1863, la France devait présenter à l’Europe ?… Ce fut aussi. dans cette même circulaire du 27 mai 1859 que le prince Gortchakov fit la leçon à la confédération germanique, lui donna le conseil de ne pas secourir l’Autriche, et lui en dénia même le droit, vu qu’elle n’était « qu’une combinaison purement et simplement défensive. » Le remuant et bouillant M. de Beust riposta vertement le 15 juin ; « il avait une mission à remplir, » et il prouva d’une manière péremptoire que la confédération germanique était un grand tout, indissolublement uni pour la défensive comme pour l’offensive. M. de Beust était-il bien sûr du fait, et prendrait-il encore sur lui de maintenir