Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/317

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

1856-59, sous la protection et le langage de la France : elle allait toute seule et prenait l’initiative du débat ! Ainsi cette puissance, à laquelle une dépêche française avait autrefois si justement conseillé d’avoir un peu moins de souci des chrétiens d’Orient et un peu plus de commisération pour les millions de catholiques polonais qu’elle opprimait elle-même avec une violence si féroce, elle faisait de nouveau retentir et trembler l’Europe de ses émotions pour les Bosniaques, les Herzégoviniens et les Bulgares ! L’empereur Nicolas semblait sortir de sa tombe et reprendre une œuvre à peine interrompue. Et de même, dans un document émané un peu plus tard de la chancellerie russe, semblait aussi revivre cet autre côté de l’omineuse politique qu’avait si longtemps représentée le défunt tsar : cette prétention du Romanov d’être le pontife de l’ordre, le gardien jaloux des principes conservateurs en Europe. Dans sa note au prince Gagarine, à Turin (10 octobre 1860), le cabinet de Saint-Pétersbourg jugeait en effet plus que sévèrement les changemens intervenus dans l’Italie méridionale, parlait des « lois éternelles sans lesquelles ni l’ordre, ni la paix, ni la sécurité ne peuvent exister en Europe, » et accusait le gouvernement sarde « de marcher avec la révolution pour en recueillir l’héritage. »

Ce n’est pas assez : dans cette seule année 1860, le cabinet de Saint-Pétersbourg devait regagner presque tout le terrain perdu depuis la guerre de Crimée : ce fut une année de grâce particulière pour la Russie, car ce fut une année de méfiance universelle contre la France. Lord Palmerston déclarait alors « ne vouloir plus donner une main à l’ancien allié qu’en tenant l’autre sur le bouclier de la défense ; » il armait ses « volontaires » au milieu de fanfares et de discours terribles, et la gracieuse reine elle-même venait à Edimbourg tirer de sa royale main, aux grands applaudissemens des ladies de tout rang, un coup de carabine Withworth. L’Angleterre se donnait l’air d’avoir peur pour bien faire trembler ceux qu’elle prétendait menacés par la France. La Suisse se démenait tumultueusement ; le National Verein jurait de mourir pour la défense du Rhin, et il n’est pas jusqu’à ces honnêtes et paisibles Belges qui ne crussent devoir affirmer dans une adresse au roi que, « si leur indépendance était menacée, ils sauraient se soumettre aux plus dures épreuves. » Au-dessus de ces frayeurs populaires s’agitaient les conciliabules des souverains : les princes allemands se réunissaient à Bade, et l’empereur des Français crut opportun de les surprendre en quelque sorte au milieu de leurs délibérations en faisant ce « rapide voyage » dont un article officiel promettait « de très-heureux résultats. » — « Il ne fallait rien moins que la spontanéité d’une démarche aussi significative, ajoutait la feuille officielle, pour faire