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famille, il adopta celle de sa sœur, et se montra pour les pauvres un père affectionné et généreux.

L’association comptait encore d’autres prosélytes en assez grand nombre, sur lesquels les détails nous manquent, mais que leur fortune ultérieure nous signale comme des hommes d’un vrai mérite. Tels étaient Chromatius, devenu évêque et assez célèbre ; Eusébius, son frère, archidiacre d’Aquilée, puis évêque ; Jovinus, évêque aussi. On trouvait encore dans leurs rangs Nicias, Innocentius et Hylas, qui se recommandent tous trois à l’histoire par une circonstance spéciale dont il sera question plus tard. Nicias remplissait dans l’église d’Aquilée les fonctions de diacre ; Innocentius, laïque, avait été entraîné à la vie religieuse par son affection pour Jérôme ; quant à Hylas, c’était un ancien esclave de Mélanie, affranchi par elle à son départ, et qui, se trouvant sans maître, avait voulu suivre Jérôme. Au milieu de tous ces jeunes gens de savoir, de fortune ou de naissance, le pauvre affranchi était estimé comme un homme simple et bon, qui effaçait par l’honnêteté de ses mœurs la tache de la servitude.

Ces esprits hautains, qui croyaient trouver la perfection idéale sous un habit de moine et en usurpaient d’avance tous les droits, n’étaient pas d’un mince embarras pour le clergé séculier qu’ils dédaignaient, et pour les supérieurs ecclésiastiques dont ils contestaient parfois l’autorité ; aussi la profession monastique, en beaucoup de lieux, rencontrait-elle pour premier obstacle les évêques. Il arrivait encore qu’après quelque temps d’épreuves l’ennui saisissait les nouveaux convertis, qui, ne trouvant point dans les pratiques de leur ascétisme l’idéal qu’ils avaient rêvé, s’imaginaient que la vie monastique, avec la plénitude de ses grâces, ne pouvait exister qu’en Orient, loin de tout contact humain, entre un ciel et une terre également inhospitaliers. Alors, chassés par le découragement, ils désertaient des cellules sans poésie ni miracles, partaient pour l’Orient ou rentraient dans le monde. Jérôme, retiré en Dalmatie, comme nous l’avons dit, ne vécut pas longtemps en bonne intelligence avec son évêque, qu’il proclame un homme ignare, brutal, méchant, incapable de sa charge et digne seulement du peuple qu’il gouvernait. Cet homme si rudement peint s’appelait Lupicinus. On ne sait de quelles vexations, de quelles calomnies Jérôme fut l’objet, mais il paraît que l’évêque souleva contre lui des populations grossières et violentes aux yeux de qui une nouveauté était un crime. Pour échapper à ce « pilote inepte d’un navire fracassé, » — ce sont les paroles qu’il emploie dans sa colère, — Jérôme s’enfuit avec son frère Paulinien au fond d’une campagne d’où il écrivait à un ami : « Nous sommes venus ici en fugitifs demander