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de Russie, M. le baron de Budberg, s’exprimait ainsi : « Je n’ai qu’à me féliciter des rapports qui existent entre l’empereur de Russie et moi. Ils ont d’autant plus de chances de durée qu’ils sont nés d’une sympathie mutuelle et des véritables intérêts des deux empires. En effet, j’ai pu apprécier l’élévation d’esprit et la droiture de cœur de votre souverain, et je lui ai voué une amitié sincère… »

Deux mois plus tard éclatait cette insurrection de Pologne, qui devait ébranler si profondément les rapports entre la France et la Russie et devenir le point de départ d’un grand changement dans les relations des états et dans les affaires de l’Europe. On ne s’étonnera pas des développemens où l’on vient d’entrer sur les diverses phases qui ont précédé cet événement, car elles seules en expliquent la gravité et l’importance. Elles seules aussi expliquent les hésitations que dut éprouver d’abord le gouvernement français avant de se prononcer sur une question qui lui imposait en quelque sorte une transformation soudaine et complète dans sa politique générale.


II

Cette explosion de la Pologne, bien qu’amenée brusquement par la fatale mesure du recrutement, n’en fut pas moins précédée, on le sait, de deux années d’agitation pleines d’incidens dramatiques et de poignantes péripéties qui n’avaient pas laissé d’émouvoir de temps en temps l’Europe, sans trop la préoccuper cependant, et il est curieux d’observer l’attitude que gardèrent les diverses puissances pendant cette première période de revendications pacifiques et de répressions sanglantes, mais partielles. Avec ce goût depuis longtemps contracté de faire la leçon aux rois et aux peuples, avec ce badinage libéral et parfois même révolutionnaire dans les questions lointaines qui leur avait valu plus d’un succès auprès du brave John Bull, et peut-être bien aussi avec l’arrière-pensée d’embarrasser quelque peu le gouvernement français dans ses inclinations russes par l’évocation fréquente et sympathique du nom de la Pologne, les ministres de la reine Victoria ne se firent pas faute de blâmer sévèrement dans les chambres tel procédé de l’administration russe envers ce malheureux pays et d’exprimer leurs vives sollicitudes pour le sort d’un peuple si cruellement éprouvé. Il est juste de reconnaître que ce langage leur était en quelque sorte imposé par l’opinion publique en Angleterre, qui ne se montrait nullement avare de manifestations en faveur de la Pologne, soit dans de nombreux meetings, soit dans les principaux organes de la presse. Aussi lord Russell déclarait-il dans la chambre des lords (mai 1861) ne pouvoir