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momentanée, le cabinet des Tuileries ait eu le vague pressentiment que la question polonaise pourrait venir déranger un jour des plans depuis longtemps combinés, le faire violemment sortir de la route qu’il s’était tracée depuis la paix de Paris. Le bruit qui déjà se faisait autour de cette question, les souvenirs et les sympathies qu’elle éveillait, tendaient dans tous les cas à ébranler le crédit si désirable et si habilement ménagé du tsar « généreux » avec lequel on voulait à tout prix rester en bon accord. Le gouvernement français, obtempérant, dit-on, sans trop de difficultés aux prières assez pressantes de M. de Kisselef, alors ambassadeur à Paris, publia donc dans le Moniteur du 23 avril 1861 une note qui, dans sa partie essentielle et importante, n’était en quelque sorte que la paraphrase d’une circulaire qu’avait adressée un mois auparavant (20 mars) le vice-chancelier russe à ses légations à l’étranger. La note du Moniteur mettait la presse et l’opinion publique en garde contre « la supposition que le gouvernement de l’empereur encourageait des espérances qu’il ne pourrait satisfaire. Les idées généreuses du tsar sont un gage certain de son désir de réaliser les améliorations que comporte l’état de la Pologne, et il faut faire des vœux pour qu’il n’en soit pas empêché par des manifestations irritantes. » C’est là la seule parole officielle que le gouvernement français ait prononcée sur les événemens de Pologne pendant tout le courant des années 1861 et 1862. Du reste, la bonne harmonie entre les deux cours des Tuileries et de Saint-Pétersbourg était un de ces faits patens et indubitables de la politique européenne que personne ne pouvait ignorer, et que la Pologne ignorait moins que personne. Il suffit de rappeler ici les paroles prononcées par le prince Czartoryski dans son discours du 29 novembre (deux mois avant l’explosion), discours qui fut promptement répandu en Pologne et y eut un grand retentissement. Le prince dissuadait ses compatriotes de toute tentative d’une lutte armée ; il les adjurait de subir leur triste sort en martyrs, de subir jusqu’à ce recrutement qui déjà se dressait alors, menaçant et sinistre, devant les yeux de la nation éplorée. « En présence de l’état actuel de l’Europe, disait le prince, des alliances qui s’y préparent et des communautés d’intérêt qui s’y établissent, nul homme sensé ne saurait admettre qu’un soulèvement en Pologne pourrait, à l’heure qu’il est, trouver un appui quelconque à l’étranger… »

Une chose cependant a lieu d’étonner : c’est que le gouvernement français n’ait pas profité de l’intimité de ses rapports avec la cour de Saint-Pétersbourg, — de l’ascendant qu’il avait dans les conseils du tsar, de l’espèce de fascination qu’exerçait alors sur toute imagination russe la seule perspective de l’alliance française, — pour