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Langiewicz. En face d’une lutte si prolongée et opiniâtre, de l’émotion publique toujours croissante, des débats retentissans des chambres anglaises, le gouvernement français se trouva dans une situation « perplexe, » pour employer l’expression d’un document officiel[1]. Cette situation était d’autant plus pénible, que dans les rapports intimes où l’on se trouvait alors avec la Russie, il était difficile de dégager toute responsabilité, ne fût-ce même que par un de ces verdicts solennels qui n’empêchent pas, il est vrai, l’iniquité de s’accomplir, mais qui n’en sont pas moins une satisfaction et une consolation morales, tant pour la victime immolée que pour le juge proclamant le droit éternel. On se demandait si on pourrait encore longtemps affecter une indifférence qui commençait à peser lourdement, lorsque tout à coup surgit un incident qui devint le signal d’une volte-face complète dans l’attitude gardée jusqu’alors, le point de départ d’une grande campagne diplomatique qui devait tenir l’Europe en haleine pendant de longs mois, mettre en mouvement toutes les chancelleries du monde, et ne servir en définitive, hélas ! qu’à démontrer le profond désaccord des puissances de l’Occident et à grossir en Pologne le torrent de sang et de larmes….. Le 8 février 1863, la Prusse avait signé une convention secrète avec la Russie dans la pensée d’étouffer l’insurrection de Pologne. M. de Bismark venait d’entrer en scène.


III

L’étonnement et l’inquiétude que causa dans les sphères diplomatiques la démarche si imprévue du cabinet de Berlin ne tinrent pas tant au fait lui-même de l’assistance prêtée à la Russie qu’aux motifs supposés d’un pareil concert. Ces motifs, on ne pouvait sérieusement les chercher dans les craintes que l’insurrection polonaise aurait inspirées à la Prusse pour la conservation du grand-duché de Posen ; les possessions polonaises de la Prusse et de l’Autriche étaient évidemment hors de cause pour le moment : l’insurrection se proposait de tirer de ces provinces des secours considérables en argent, munitions et volontaires, mais ne songeait nullement à les entraîner dans une lutte funeste et insensée contre leurs gouvernemens respectifs. M. de Rechberg, dans ses conversations avec lord Bloomfield, ambassadeur anglais à Vienne (dépêche du 12 février), « ne voyait aucune raison sérieuse pour s’alarmer au sujet de la Galicie, » et de son côté sir Andrew Buchanan mandait de Berlin au comte Russell (14 février) « qu’aucun mouvement de

  1. « Nos perplexités au milieu d’événemens dont l’opinion du pays, etc. » Exposé de la situation de l’empire, p. 108.