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reçut l’ordre de se rendre en toute hâte dans le Levant. Il partit sur-le-champ pour Smyrne. Dans les premiers jours du mois de janvier 1839, il prenait possession d’un commandement qui allait mettre bientôt huit vaisseaux de ligne sous ses ordres. Ce fut alors qu’il se trouva réellement à la tête d’une escadre. Une escadre en effet n’est pas seulement une réunion de vaisseaux fortuitement rassemblés, sans objet défini, sans espoir d’action et sans but à poursuivre. La force navale envoyée dans le Levant par le maréchal Soult était dans de meilleures conditions. Sa mission était de surveiller les Russes, son espoir de les voir arriver à Constantinople, le but de tous ses efforts de se mettre en mesure de les en chasser.

Pendant que la fortune servait si bien la généreuse ambition de mon amiral, elle couronnait la mienne. J’étais nommé au commandement du brick-aviso la Comète. Un ingénieur français, M. Maresquié, avait rapporté le plan de ce genre de bâtiment d’un voyage qu’il avait fait aux États-Unis. Une goélette américaine ne pouvait passer par nos mains sans en sortir un peu défigurée. N’importe, les bricks-avisos étaient en 1839 le rêve de tous les jeunes officiers. Celui qu’on me donna datait, je crois, de 1825. J’eus le bonheur d’obtenir qu’on lui restituât, tout en lui conservant sa voilure de brick, quelque chose de son élégance native. Il me sembla bien gracieux, je l’avoue, quand il sortit ainsi transformé des mains des charpentiers. Sa guibre élancée, supportant un buste doré de jeune femme avec une étoile au front, sa poulaine à jour, décorée de herpes et de jambettes finement travaillées, eurent, j’ose le dire, quelque succès dans leur temps. La mâture fut hardiment rejetée en arrière et ouverte en éventail. La coque, peinte en noir, portait huit caronades de 18 et deux canons de 12. Nous partîmes vers la fin du mois de juin 1839 pour le Levant. La Comète devait, en sa qualité de brick-aviso, servir de mouche à l’escadre. C’était vraiment justice : il y avait près de sept ans que son capitaine était attaché à l’amiral Lalande. Tous les bonheurs m’arrivaient à la fois.

Il n’est pas besoin que je dise quels événemens avaient motivé l’envoi d’une escadre française dans les eaux de Smyrne et de Ténédos. Tout le monde se souvient qu’en 1839 la guerre s’était rallumée entre le sultan et Méhémet-Ali, qu’Ibrahim-Pacha s’était montré plus redoutable encore dans cette seconde campagne que dans la première, et que Constantinople se trouvait de nouveau menacée par les armes des Égyptiens d’abord, par les offres de protection des Russes ensuite. La France et l’Angleterre se portaient médiatrices, espérant prévenir ces deux extrémités. D’un côté, l’on s’efforçait d’arrêter Ibrahim dans sa marche victorieuse ; de l’autre, on interdisait au sultan de faire sortir sa flotte. Tel était le motif ou