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tout au moins le prétexte de la présence des escadres alliées à l’entrée des Dardanelles.

La Comète avait pénétré dans l’Archipel en passant entre Tine et Myconi ; la brise de nord était fraîche, et nous forcions de voiles pour atteindre le canal d’Ipsara lorsqu’au jour nous découvrîmes une flotte qui venait sur nous vent arrière. Nous arborâmes nos couleurs, la flotte répondit par les siennes. C’était l’escadre turque. Comment cette escadre avait-elle échappé à la surveillance des alliés ? J’avais peine à le comprendre, mais je me promis d’attirer bientôt de nombreux limiers sur sa piste. Je comptai les vaisseaux, les frégates, les corvettes : la flotte turque était là tout entière. Je fis larguer un ris aux huniers : la Comète volait. Si la brise ne devenait pas un coup de vent, je pouvais être près de notre amiral le lendemain soir ; mais il fallait trouver l’escadre. Serait-elle devant Ténédos ou dans la baie d’Ourlac ? Une nouvelle rencontre résolut la question. Nous aperçûmes vers midi un brick qui, comme la flotte turque, venait du nord. C’était un brick français, le Bougainville. Le capitaine me fit signal qu’il désirait communiquer avec la Comète. Nous mîmes en panne, et il vint à bord. Il m’apprit où je trouverais l’escadre, et me donna en même temps quelques nouvelles, que des informations plus précises me permirent de compléter plus tard. Un grand événement s’était produit pendant que la Comète remontait péniblement l’Archipel. Le sultan Mahmoud était mort, Kosrew avait pris les rênes du pouvoir, et Achmet, le capitan-pacha, qui voyait dans Kosrew un ennemi personnel, avait sauvé sa tête en enlevant la flotte. Le capitan-pacha n’avait pas dit à l’amiral Lalande qu’il allait conduire cette flotte à Méhémet-Ali. Il lui avait affirmé seulement que Kosrew était un traître, tout prêt à appeler les Russes dans le Bosphore, que lui, maître encore de la flotte, il voulait la leur dérober, et que dans quelques jours les vaisseaux du sultan seraient en sûreté à Rhodes. Le raisonnement avait paru juste à l’amiral, qui ne connaissait pas d’ennemis plus dangereux pour la Turquie que ses officieux protecteurs. Il avait donc laissé libre passage au capitan-pacha, et il était retourné lui-même dans la baie d’Ourlac pour y rallier son escadre et se tenir prêt. Ainsi informé par le Bougainville, j’amurai mes basses voiles, pendant que ce brick hissait ses bonnettes pour continuer sa route.

Comme je l’avais prévu, j’arrivai à Ourlac le lendemain soir. La baie était pleine de vaisseaux. Il y avait longtemps que notre pavillon n’avait flotté sur une pareille escadre. Notre cœur s’épanouit à la vue de ce déploiement de forces, qui représentait si bien la grandeur de la France. À peine mouillé, je me rendis à bord de l’Iéna. Il était sept heures. La plupart des capitaines avaient dîné