Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/38

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chercher l’herbe où elle croît : c’étaient les enfans perdus du désert. Un père de l’église syrienne recommandait aux cénobites d’écarter avec soin toute tentation de ce genre, et de ne se point exposer témérairement « à l’horreur du désert, aux dangers de la faim, aux bêtes, aux démons, à leurs propres inquiétudes enfin, » qui n’étaient pas le moindre péril de l’isolement absolu. Ces sages conseils n’arrêtaient pas toujours des imaginations aventureuses, exaltées par les abstinences, et avides de savourer jusqu’à la lie ce que la solitude offrait de plus émouvant ou de plus amer.

Et qu’on ne croie pas qu’en dehors de ces étranges défis à la nature, la vie monastique fût réprouvée en Orient par les hommes calmes et sensés. Loin de là : on y voyait un moyen de retremper les forces de l’âme, et les plus grands évêques en usèrent à leur profit comme d’un remède salutaire. Il n’y eut pas jusqu’aux païens qui n’approuvassent dans le monachisme le principe de renoncement à soi-même enseigné par leurs sectes philosophiques les plus en crédit : Libanius, l’ami de Julien, a fait l’apologie des moines. Au reste, un des noms appliqués à la profession monastique en Orient était celui de philosophie, que l’austérité chrétienne acceptait avec orgueil, et je citerai à ce propos le témoignage d’un contemporain, qui a souvent porté dans l’appréciation des choses religieuses un grand esprit d’indépendance et de justice, l’historien ecclésiastique Sozomène. « Une des choses les plus utiles que Dieu ait transmises aux hommes, nous dit-il, est la philosophie de ceux qu’on appelle moines. Elle méprise comme chose superflue, et consumant un temps qu’on peut mieux employer, les connaissances acquises aux écoles et les arguties de la dialectique. Pour elle, la meilleure étude est celle de bien vivre. Elle enseigne donc par une science simple et naturelle ce qui peut combattre et déraciner le mal moral, ne trouvant pas qu’il y ait un milieu possible entre le vice et la vertu. Forte contre les tumultueuses agitations de l’âme, elle ne sait pas céder à la nécessité et ne succombe point aux infirmités du corps ; par la contemplation continue de l’éternel auteur des choses, elle fortifie l’âme à la source de l’essence divine… Supérieure aux événemens du dehors, elle domine pour ainsi dire le monde extérieur ; l’injure ne l’atteint pas, et elle se glorifie de la souffrance. Patience, mansuétude, frugalité, voilà les degrés par lesquels elle élève l’homme vers Dieu, autant qu’il est permis d’en approcher. Les deux princes de cette suprême philosophie, si l’on en croit la tradition, ont été les prophètes Élie et Jean-Baptiste ; mais le pythagoricien Philon nous rapporte que de son temps une foule d’Hébreux de distinction se livraient à la pratique de cette sorte de sagesse dans un certain lieu situé au-dessus du lac Maréotide.