Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/393

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resta le même ; je me trompe, il se présenta compliqué et aggravé de la présence des Barbares, qui étaient devenus partout les maîtres de l’autorité supérieure. Il était possible que rien ne fût changé, et que l’empire se continuât sous forme morcelée. C’était manifestement la tendance des rois ostrogoths et mérovingiens ; mais la situation fut plus forte. Je dis la situation ; on entend bien que ce ne fut pas la réflexion qui, appréciant les conditions politiques, combina les institutions les mieux appropriées : cela est d’un temps plus mûr et plus instruit sur l’organisation des sociétés ; mais sous les influences qui alors se firent sentir se développèrent les germes de ce qui devint peu à peu le régime féodal.

Ce régime doit être considéré par rapport à ce qui l’a précédé et en lui-même.

Ce qui l’a précédé, c’est l’empire romain. Or, au point de vue qui nous occupe, la supériorité du régime féodal est manifeste ; il a cette supériorité qui appartient à un organisme vigoureux et apte à se développer par comparaison avec un organisme vieilli et voué à la destruction. Sur cette vieillesse et cette destruction de l’un, aucun doute n’est possible : tout dans l’empire romain allait en décadence ; les lettres, les arts, les sciences, la politique, la force militaire, subissaient de siècle en siècle une décroissance qui s’acheminait vers la ruine. Sur cette vigueur et ce rajeunissement de l’autre, il n’y a pas davantage de doute, car chaque siècle le rend plus propre à servir de transition vers l’ère moderne. Pour une société héritière de la Grèce et de Rome et ranimée par le christianisme, c’était, même avec les Barbares, la rénovation, non la ruine, qui était en perspective. Le plus bas degré de la décadence est atteint quand ce qui reste d’élégance, de lettres et d’art reçoit un dernier coup par l’établissement des Barbares ; mais dès lors la réorganisation commence ; le régime féodal s’établit, les langues modernes se forment, un vif désir de savoir remue les intelligences, de grandes choses s’accomplissent, d’heureuses découvertes se font, et tout est vie et travail.

Considéré en soi, le régime féodal n’est pas moins digne d’attention. Au premier abord, il apparaît comme un morcellement de l’autorité souveraine, et il semble qu’un pareil système n’exige pour s’établir aucune condition avancée de civilisation. Cela serait vrai, et on pourrait n’y voir qu’un de ces accidens produits par une aristocratie forte contre des princes faibles, s’il n’était pas conjoint à trois élémens capitaux qui en font le caractère et qui lui donnent une place hors ligne. Le premier, c’est d’avoir reconnu un suzerain, ce qui conserva l’idée de l’état ; le second, c’est d’avoir reconnu une autorité spirituelle pleinement indépendante de lui, et cette autorité était le catholicisme ; le troisième est d’avoir trans-