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formé l’esclavage antique en servage. Ce sont de grandes choses, et qui, quoi qu’il en soit du reste, exigent le respect de l’historien et la reconnaissance de la postérité.

Quant à ceux qui, rejetant le moyen âge comme un temps de rétrogradation et d’abaissement en toute chose, lient l’ère moderne à l’antiquité par la renaissance, il faut leur répondre que ces hommes de la renaissance qui se trouvèrent capables de prolonger l’antiquité et d’en tirer de vastes développemens furent mieux doués que les héritiers directs de cette même antiquité entre les mains de qui elle avait péri. Cette capacité plus grande est le fruit du long apprentissage subi durant le moyen âge, et les hommes du XVIe siècle purent ce que n’avaient pu les hommes de Grèce ou de Rome après la belle époque. Ils le durent à leurs prédécesseurs immédiats, les gens du moyen âge. Il faut finalement voir les choses comme elles sont : ce n’est la faute de personne si l’âge des républiques gréco-latines fut éphémère, et aboutit au despotisme macédonien en Grèce, au despotisme impérial à Rome, à un affaissement moral et intellectuel. Ce n’est la faute de personne si l’empire fut une phase lourde, sans souffle, inhabile au dedans à ranimer la vie sociale, au dehors à écarter l’effroyable catastrophe des Barbares. L’antiquité gréco-latine ayant amené les choses à ce point, c’est à ce point que les hommes purent les reprendre, et fonder avec les élémens préexistans, sociaux, religieux, politiques, un nouveau système. L’histoire montre que ni la vie, ni le souffle, ni le développement n’y manquèrent.

Et ici s’ouvre un nouveau point de vue qui agrandit la situation du moyen âge, qui en montre le caractère relativement, mais véritablement progressif. On le nomme régime catholico-féodal, et c’est justice, car alors l’église eut, dans le domaine spirituel, une domination incontestée : dogme, philosophie, science, éducation, tout dépendit d’elle ; mais l’église n’est pas l’œuvre du moyen âge, c’est le produit de cette ère qui est l’empire romain, si terne, si déchue, quand on la considère du côté païen, si vigoureuse et si puissante quand on la considère du côté chrétien. Je n’ai pas besoin de dire que je ne suis pas, avec Julien et avec le XVIIIe siècle, contre le christianisme pour Jupiter, et ce mot de Jupiter qui se trouve sous la plume suffit, sans plus, pour faire comprendre la supériorité du nouvel ordre religieux et moral qui triompha ; mais, du moment que cette supériorité est bien reconnue, on voit qu’elle se reporte sur le moyen âge, qui se l’approprie sans réserve ; le mouvement religieux eut la plus grande influence sur le mouvement social, qui lui fut subséquent, et celui qui les veut scinder se trompe historiquement. En un mot, à qui saisit l’enchaînement il apparaît que, pour passer de l’ère antique à l’ère moderne, les facultés collectives de la société