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durent prendre l’intermédiaire du catholicisme et de la féodalité. Celui qui arrange les choses autrement n’a dans l’esprit qu’une chimère historique.


II. — DE LA FORTUNE DE L’ANCIENNE LITTERATURE FRANCAISE EN EUROPE.

Le XIVe siècle, gond sur lequel commence à tourner la porte qui ferme le moyen âge et ouvre l’ère moderne, est, en France, le temps qui voit finir et s’éteindre l’art créé dans la haute époque. Ici art est un mot collectif qui embrasse la poésie et l’architecture ; ce furent les deux parties qui forment l’auréole de la France. Également originales, mais inégalement fortunées, la poésie chevaleresque a cessé de vivre dans la bouche et dans la mémoire des hommes, l’architecture gothique fait encore aujourd’hui passer en celui qui la contemple les sentimens qui animaient le génie des constructeurs quand ils élevèrent ces sublimes édifices où l’âme chrétienne se trouve en harmonie avec sa croyance et son Dieu.

On commence, je crois, à savoir dans le public, grâce aux érudits, que la littérature française ne date pas du XVIIe siècle, ou, si l’on veut, du XVIe qu’elle a eu un long développement antérieur, qu’elle est née vers le XIe siècle, et qu’elle florissait particulièrement au XIIe et au XIIIe. J’avoue que je suis de ceux qui tiennent aux lointains souvenirs, et que ce n’est pas sans un certain orgueil national que je vois l’esprit de la vieille France se signaler par des œuvres considérables qui plurent partout, et établir dès les temps les plus anciens ces liens qui ont été et sont encore si utiles à la communauté européenne. Telles n’étaient pas les inclinations des XVIIe et XVIIIe siècles : le XVIIIe, excusable, puisque, engagé dans la grande guerre contre les opinions catholico-féodales, il n’avait plus le pouvoir de distinguer ni de ménager ; le XVIIe, inexcusable de n’avoir eu d’estime que pour lui ou pour l’antiquité classique.

Mais quoi ! dira-t-on, des engouemens d’érudits que charme la poussière des vieux parchemins peuvent-ils prévaloir contre l’arrêt d’un oubli séculaire et rendre quelque vie à des œuvres que leur propre patrie a délaissées ? L’objection serait valable, si ces œuvres n’avaient pas jadis joué un grand rôle et exercé une influence étendue. Elles ne demeurèrent pas enserrées en d’étroites limites, l’Europe entière fut leur vaste théâtre ; l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne, l’Angleterre, le nord Scandinave, la Grèce même, les lurent, les traduisirent, les imitèrent. Et c’est là, à vrai dire, que commence l’usage européen de la langue française ; elles le fondèrent, et l’avenir, je ne dirai pas l’agrandit, mais le confirma. Au reste, la langue et les œuvres se servirent en ceci mutuellement : sans les œuvres, la langue ne se serait pas répandue ; sans la langue, les œuvres