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les menèrent au douloureux passage. Alors, sous le titre de Reali di Francia, on avait abrégé en prose, avec deux ou trois des chansons de geste qui nous restent, quelques-unes de celles qui ne se sont pas encore retrouvées ; en vers, il s’était fait au moins quarante compositions, toutes en octave et se rapportant à l’ère de Charlemagne, et dans cet amas de fictions que l’Italie nous avait empruntées, le siècle suivant vit Pulci, Boiardo et l’Arioste puiser leurs épopées burlesques ou héroï-comiques. Le témoignage de Dante mérite d’être cité. « La langue d’oïl allègue pour soi, dit-il dans son traité de Vulgari eloquio, qu’à cause de ses formes plus faciles et plus agréables que les autres, tout ce qui a été rédigé en vulgaire prosaïque lui appartient : par exemple, toute la suite des gestes des Troyens et des Romains, les longues et belles aventures du roi Arthur et beaucoup d’autres histoires ou enseignemens. La langue d’oc peut prétendre qu’elle est la première qui ait eu des poètes, comme plus parfaite et plus douce, par exemple Pierre d’Auvergne, et d’autres avant lui. La troisième, celle des Latins, peut s’attribuer deux privilèges : d’abord c’est d’elle que viennent ceux qui ont montré dans la poésie vulgaire plus d’harmonie et plus d’art, comme Cino de Pistoia et son ami ; ensuite ils paraissent s’appuyer davantage sur la grammaire, qui est commune, et ceci, à en juger raisonnablement, est un bien grand argument pour eux. » L’ami de Cino de Pistoia est Dante lui-même. Le vulgaire prosaïque signifie non la prose, mais les poèmes narratifs qui ne sont pas en strophes régulières et en rimes entrelacées ; les poètes de la langue d’oc, auxquels ils donnent la priorité, sont les auteurs de canzones et de vers d’amour, genre dans lequel ils paraissent avoir précédé ceux de la langue d’oïl, qui les précédèrent pour la poésie épique. Le latin, c’est l’italien, et le mérite que Dante fait à la langue de son pays d’être plus régulière et plus grammaticale que ne l’avait été celle de la plupart de nos trouvères est dû aux travaux de Dante lui-même, de ses amis et de ses contemporains.

Pétrarque, qui est habituellement hostile à la France et qui par le plus d’une fois de la ville disputeuse de Paris et de cette rue du Fouarre, immortalisée par Dante, où professaient les maîtres de la faculté des arts ; Pétrarque, dis-je, qui, remarquant que cette capitale lui avait paru fort au-dessous de la réputation et des louanges mensongères de ses habitans, ajoute cependant qu’après tout c’était une grande chose que Paris, magna tamen haud dubie res fuit, il s’inquiéta pour sa chère Italie du succès qu’obtenait partout notre poème de la Rose, et se hâta d’y opposer, comme s’il doutait de la victoire, non la célébrité naissante de la poésie italienne, ni Dante, ni lui-même, ni aucun nom de son temps, mais les plus grands noms de l’antique poésie latine, Catulle, Horace, Ovide, Virgile,