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n’est pas non plus de Perrault. On savait bien que cette histoire de Peau-d’Ane, connue de Scarron et de Molière, indiquée par Boileau dès l’année 1669, et que La Fontaine entendait conter avec un plaisir extrême seize ans avant les contes de Perrault, n’est point et ne peut être une invention du rédacteur de ces contes. Voilà que nous reconnaissons celui-ci dans les vers latins de Gotfried, qui pouvait en devoir l’idée moins aux Métamorphoses de l’Ane d’Apulée qu’aux fables indiennes, dont il circulait en Europe des traductions latines depuis le XIe siècle. »

Un des plus beaux fleurons du moyen âge est la découverte du déchant dans la musique. Suivant la définition technique, discantat qui simul cum uno vel pluribus dulciter cantat, ut ex distinctis sonis sonus unus fiat, non unitate simplicitatis, sed dulcis concordisque mixtionis unione. En d’autres termes, le déchant est le chant en parties. Cette grande innovation, d’où sont nées l’harmonie et toutes les merveilles de la musique moderne, ne fut pas reçue sans opposition par ceux qui regrettaient l’unisson du chant grégorien. En 1322, elle est blâmée comme dangereuse par une bulle pontificale, et un musicien de ce temps, Jean des Murs, s’écrie : « O douleur ! ô vain prétexte et déraisonnable excuse ! ô grand abus ! grande barbarie ! Oh ! si les anciens maîtres avaient entendu le déchant de ces docteurs, qu’auraient-ils dit ? qu’auraient-ils fait ? Ils auraient interrompu le disciple de cette musique nouvelle, et lui auraient dit : Ce n’est pas de moi que tu as appris ces dissonances, et l’on chant n’est pas d’accord avec le mien. Loin de là, tu me contredis, tu me scandalises. Tais-toi plutôt ; mais tu aimes mieux délirer et déchanter. »

Le XIVe siècle est plein aussi d’alchimistes. Le fait est que l’alchimie est un grand office rempli par le moyen âge dans la préparation à la science générale. Faisant le bilan du savoir de l’antiquité, on reconnaît qu’elle fonda les mathématiques et l’astronomie, et qu’elle eut quelques commencemens de physique proprement dite. Puis la médecine la conduisit à des ébauches de biologie, la politique à des ébauches de sociologie, tout cela, mathématiques, astronomie, commencemens de physique, ébauches de biologie et de sociologie, ne formant que des fragmens sans système, d’où le règne, sans conteste, de la philosophie métaphysique. Mais ce qui, en ceci, frappe l’œil habitué à considérer l’ensemble, c’est l’absence de tout rudiment de chimie : cette grande lacune, le moyen âge se chargea de la remplir. Guidé par une hypothèse que rien ne dit être fausse, mais que rien ne dit être vraie, à savoir que les différentes substances ne sont que des modifications d’une même matière, il chercha la transmutation des métaux et créa pour la chimie une ébauche semblable à celle que l’antiquité avait créée pour la biologie : le service est pareil et de haute importance.