Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/426

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

propagé la doctrine sur la pauvreté absolue des spirituels et des parfaits. Vingt et un prévenus, qui étaient dans les prisons, réussirent, après ce supplice, à s’échapper en faisant au pape Jean XXII et à la papauté de terribles adieux : « Nous fuyons, non pas l’ordre, mais ses murailles ; non pas l’habit, mais des haillons ; non pas la foi, mais le masque de la foi ; non pas l’église, mais une synagogue aveugle ; non pas le berger, mais le loup qui dévore le troupeau. Comme, après la mort de l’antechrist, ses partisans seront exterminés, ainsi, après la mort de ce pape, seront exterminés par nous et nos amis tous nos persécuteurs, et à jamais révoquées toutes les sentences iniques prononcées contre nous, ou plutôt contre le Christ, contre la vie, contre la perfection, contre le saint Évangile. »

Aux dominicains était confiée la répression ; elle fut terrible. Plus le gouvernement des âmes devenait difficile, plus, par la funeste tendance des doctrines absolues, on se persuadait que les supplices étaient le seul remède à employer contre le plus grand des crimes, un crime absolu, l’erreur dans la foi. L’inquisition, ce droit de régner par la terreur qu’ils obtinrent dès leur origine contre les Albigeois et qu’ils ne partagèrent qu’un instant avec les franciscains, leur donna le privilège de faire la guerre et une guerre d’extermination à toute liberté de parler et d’écrire. Le XIVe siècle fut celui de leur plus grand pouvoir, surtout en France. Ils ont remarqué les premiers que tous leurs généraux, à l’exception d’un seul, ont été, pendant la papauté d’Avignon, originaires de nos provinces. Le saint-siège trouva dans leur ordre ses plus fidèles serviteurs : surveillans et vengeurs du dogme, ils défendirent la cause pontificale comme prédicateurs, comme maîtres de théologie, comme écrivains.

Ceux qui pensent que l’inquisition fut étrangère à la France commettent une grave erreur historique. Il est certain que ce terrible tribunal finit par quitter notre sol, et que nos derniers siècles n’eurent point à souffrir de cette oppression qui écrasa pour un temps le noble et puissant génie de l’Espagne ; mais au XIIIe et au XIVe siècle l’inquisition était établie en France du nord au midi. On la trouve à Toulouse, à Carcassonne, à Marseille, à Narbonne, à Bar-le-Duc, à Metz, à Douai, à Saint-Quentin, à Paris. Les fonctions inquisitoriales s’y exerçaient dans leur pleine rigueur, et Paris, en 1304, vit livrer aux flammes cent quatorze vaudois.

Ces brûleurs d’hommes étaient aussi des brûleurs de livres. Avant l’imprimerie, de telles exécutions ont anéanti beaucoup de documens. Il paraît que tous les livres des cathares ont été détruits ; ceux qui restent des vaudois sont en bien petit nombre. On doit regretter aussi, pour l’histoire de l’esprit humain, cette bibliothèque d’ouvrages de toutes les sectes, amassés pendant quarante ans par le marquis de Montferrand en Auvergne, et qu’il ordonna de jeter au