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feu, vers 1215, sur le conseil des dominicains, à peine établis dans le pays. Leur inquisition fît brûler à Toulouse, en 1315, de nombreux exemplaires du Talmud, condamné par des experts qui, dit la sentence, savaient l’hébreu. On en brûle une fois deux charretées, y compris sans doute d’autres ouvrages rabbiniques. Rien n’est plus commun que de brûler le Talmud, et quelquefois des Juifs avec le Talmud. M. Le Clerc pense que durant ces persécutions beaucoup d’autres livres ont dû disparaître : les traductions de l’Écriture sainte, longtemps encouragées et ordonnées par les conciles, puis sévèrement prohibées ; les hardiesses des poètes du nord et du midi contre la toute-puissance ecclésiastique ; un grand nombre de poèmes de l’ère carlovingienne, trop peu respectueux pour le clergé, et qui, dans le midi surtout, n’ont guère laissé de trace que leur titre. Que sont devenus tous ces poèmes de chevalerie continuellement cités par les troubadours ? Il s’en retrouve beaucoup plus dans la langue d’oïl que dans la langue d’oc, bien que la plupart eussent été rédigés dans l’une et l’autre ; mais souvent les deux rédactions ont péri.

Il importe de citer les réflexions que la législation inquisitoriale a inspirées à M. Le Clerc, car elles serviront à apprécier dans son intimité l’état du XIVe siècle : « Quand on lit aujourd’hui ce code et les sentences qu’il a dictées, on ne peut s’empêcher de croire que de tels juges, quand même ils n’eussent point fait la guerre aux travaux de l’esprit, devaient nuire à l’intelligence, et que ce n’était pas sans danger pour la conscience publique, et par suite pour les œuvres littéraires, qu’un tribunal ne cessait de rendre des arrêts où les plus simples notions de la justice humaine étaient contredites par une prétendue justice divine, où des gens étaient condamnés pour avoir payé leurs dettes à des créanciers suspects d’hérésie, une sœur pour avoir donné à manger à son frère qui mourait de faim, une jeune fille de quinze ans pour n’avoir pas dénoncé son père et sa mère. Il y avait là de quoi pervertir le bon sens d’une nation. »

En présence de l’anarchie franciscaine et de la cruauté dominicaine, il est clair qu’on est arrivé à l’épuisement du régime du moyen âge. Si on abandonne les doctrines à elles-mêmes, elles se précipitent dans des aberrations sans fin et pleines de péril ; si on les contient, on tombe dans des rigueurs qui révoltent la conscience humaine. Le dilemme est posé, et par, elle-même la doctrine qui a fait la force et la grandeur du régime catholico-féodal n’a pas d’issue. Ce fait, on le comprend, est d’une très grave signification ? aussi n’est-il pas indifférent, surtout en histoire, de donner, après la preuve, la contre-épreuve. Les musulmans, traduisant les livres syriaques, qui avaient traduit les livres grecs, se jetèrent avec ardeur