Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/439

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vert sombre, noirâtre, qui donne au tableau un air de grande sévérité. Arrivant à l’état igné et plus chaudes que les granits, elles ont fortement rubéfié, quelquefois même agatisé, jaspé les calcaires et les schistes avoisinans, les transformant en gabbri rouges ou en cornéoles, tandis que les granits, sortant à l’état pâteux et presque refroidis, se sont simplement insinués en veinules capricieuses dans les roches qu’ils ont soulevées, disloquées, sans les modifier d’autre façon.

Les dômes formés par l’apparition des serpentines suivent une ligne sensiblement dirigée du nord-nord-est au sud-sud-ouest, parallèle au rivage. Une semblable orientation se retrouve sur la terre ferme en Toscane, où les géologues de Pise ont donné à cette ligne le nom de chaîne métallifère à cause du grand nombre de filons qu’elle contient. L’île d’Elbe a dû être détachée de la péninsule à une époque de convulsions géologiques postérieure à la sortie au jour des serpentines. Le point culminant produit par l’éruption de ces roches dans l’île ne dépasse pas 530 mètres. Çà et là, sur tous ces pitons d’aspect déjà si sombre, on distingue de vieilles tours, d’antiques forteresses. Celles de Volterrajo, de Monte-Giove, méritent d’être visitées. Plusieurs fois, à l’époque des incursions des Barbaresques, les insulaires épouvantés trouvèrent derrière ces remparts un abri assuré. Plusieurs fois aussi, lors des guerres que François Ier et Louis XIV durent soutenir contre l’Europe, les Français, les Allemands, les Espagnols, assiégeans ou assiégés, se rencontrèrent jusqu’au pied de ces murailles. Aujourd’hui ces lieux sont déserts, ces places fortes sont démantelées, le lierre s’enlace autour de la pierre, et les oiseaux amis des hautes cimes fréquentent seuls ces ruines d’un autre âge. Plus d’un de ces vieux châteaux a sa légende comme les criques du rivage, et l’on dit qu’à Monte-Giove une princesse de Piombino, Isabelle Appiani d’Aragon, digne rivale de Marguerite de Bourgogne, enfermait dans une prison éternelle ses amans d’une nuit. Sur l’emplacement qu’occupe ce fort de sinistre mémoire, et dont les créneaux à la gibeline trahissent l’origine pisane, on prétend qu’il existait autrefois un temple dédié à Jupiter Ammon. Le nom de Giove que porte encore la montagne, celui de Piè d’Ammone donné à l’une des collines adjacentes, témoignent, à défaut d’autres preuves, que cette tradition n’est pas sans fondement. En un autre point, les Romains ont laissé des traces plus vivantes de leur passage, et l’on rencontre à Capo-Castello d’immenses ruines qui semblent avoir appartenu à une villa. J’y ai encore trouvé des restes de mosaïques en marbre blanc, des débris de pavés également en marbre, des amas de briques, enfin de longs pans de murailles. Ceux-ci, en pierres de petit appareil, sont quelquefois