Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/640

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Cette connivence de l’Autriche n’est pas ce qu’il y a de moins remarquable dans l’histoire de cette insurrection; j’ai déjà signalé tout cela à Pétersbourg et à Vienne... » Il va sans dire que des plaintes furent adressées de Saint-Pétersbourg à Vienne; il va sans dire aussi qu’à Vienne on fut très ému et blessé d’un pareil soupçon. « Le comte Rechberg (lit-on dans une dépêche de lord Bloomfield du 29 janvier) paraissait très indigné (seemed very indignant) d’une telle insinuation; il a télégraphié immédiatement à M. de Thun (son ambassadeur à Saint-Pétersbourg) pour signifier que le gouvernement impérial serait très reconnaissant de tout renseignement qui le conduirait à découvrir les personnes engagées dans de semblables complots dans les états autrichiens. » Les personnes engagées dans de semblables complots étaient probablement trop nombreuses pour qu’on eût pu les désigner toutes : elles formaient presque la totalité des employés civils et militaires de la Galicie, décidément frappés d’une indolence incurable, et qui permirent, par exemple, à Langiewicz de passer jusqu’à trois fois clandestinement par le territoire autrichien pour voler plus vite au secours d’un de ses corps menacés. Il est vrai que quand cet habile chef de partisans voulut essayer le même tour pour la quatrième fois, il fut reconnu et arrêté; mais il semble qu’on n’en sut pas trop gré à ceux qui avaient déployé à cette occasion un zèle peut-être maladroit : il est sûr du moins qu’ils ne furent point récompensés pour leur importante capture[1].

  1. Rien de plus instructif à cet égard que la lecture d’une pièce insérée dans le blue book, n° 143. C’est un rapport adressé sur l’état de Cracovie et de la Galicie au commencement du mois d’avril par l’agent anglais, M. Mounsey, et inclus par lord Bloomfield dans sa dépêche du 9 avril au comte Russell. Nous en extrayons les passages suivans :
    « Conformément au désir que votre seigneurie m’a témoigné, j’ai l’honneur de mettre sous vos yeux tout ce que j’ai pu apprendre pendant mon très court séjour à Cracovie relativement à l’état du sentiment public au sujet de l’insurrection polonaise... Toute personne ayant résidé vingt-quatre heures dans cette ville doit inévitablement arriver à la conclusion que les habitans sont pénétrés de la plus profonde sympathie pour le mouvement polonais et de la haine la plus prononcée contre la Russie et tout ce qui est russe; je crois que ces sentimens n’existent pas seulement à Cracovie, mais dans toutes les villes de la Galicie. Le peuple de Cracovie n’essaie même pas de cacher ses sentimens. Il les montre de différentes manières, par l’hospitalité, les soins et l’attention pour les blessés, etc. J’ai appris de bonne source qu’un comité insurrectionnel est en permanence et tient séance en ville toutes les nuits. Il est chargé, m’a-t-on dit, d’organiser les bandes, de nommer leurs commandans, etc., et il est en communication constante avec le comité de Varsovie et avec ceux qu’on dit exister à Lemberg et dans d’autres villes galiciennes. On m’a parlé ouvertement de ces démarches générales, et beaucoup de personnes semblaient connaître son existence... Peu après la soumission de Langiewicz, les débris de son armée furent amenés à Cracovie au nombre de plusieurs centaines et enfermés dans le manège et autres bâtimens publics. Avant la fin de la semaine, ils étaient presque tous libres et de l’autre côté de la frontière... » Décidément l’Autriche laissait faire !