Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/641

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Pendant toute cette année 1863, la Galicie fut en réalité le refuge, le lieu de ravitaillement, le grenier, le dépôt et la vraie base d’opérations pour les chefs de l’insurrection : c’est là qu’ils allaient chercher de l’argent, des volontaires, des équipemens et des armes. Les envois d’armes, cette question vitale pour l’insurrection, rencontraient, il est vrai, de fréquens empêchemens : la plus grande partie était confisquée; une petite partie finissait cependant toujours par arriver, cela dépendait naturellement du hasard; mais le hasard se montrait singulièrement intelligent en se réglant invariablement sur la température politique générale. On pourrait écrire l’histoire militaire de l’insurrection rien qu’en prenant pour guide les fluctuations de la diplomatie : à mesure que l’action diplomatique devenait plus forte ou plus faible, la frontière galicienne se rélargissait ou se resserrait, et à son tour l’insurrection languissait ou se ravivait subitement, — et ce jeu continua pendant toute une année. Triste jeu en fin de compte, car il sacrifiait des milliers de vies et de fortunes à ce misérable calcul d’infiniment petits qu’on nomme parfois pompeusement raison d’état, car il faisait involontairement penser à l’une des plus belles poésies populaires de la Pologne, où un pauvre oiseau, tour à tour relâché, ressaisi et cruellement torturé, pousse ce cri plaintif : «Enfans, vous jouez, et moi il s’agit de ma vie !» Ajoutons encore, pour finir, que la preuve par le contraire, la demonstratio per contrarium, ne devait point manquer non plus à cette « connivence » dont parlait la dépêche confidentielle de M. de Tegoborski. L’année suivante, alors que M. de Bismark fut parvenu à amener un rapprochement complet entre les cabinets de Vienne et de Saint-Pétersbourg, il a suffi en effet à l’Autriche de prendre une seule mesure, de déclarer l’état de siège en Galicie, pour mettre d’un trait fin à l’insurrection dans la Pologne russe, qui ne put survivre un mois à ce coup mortel. Le gouvernement autrichien donnait par là une preuve péremptoire tout aussi bien de sa bonne volonté envers la Russie en 1864 que de ses dispositions plus qu’équivoques à son égard dans l’année précédente.

L’attitude diplomatique de l’Autriche aux débuts de l’insurrec-