Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/656

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ni l’indépendance des peuples ni les intérêts sacrés de la civilisation en Orient. La civilisation n’aurait eu qu’à gagner à voir les peuplades à demi sauvages et à demi païennes même de ce littoral distraites de la domination ottomane et confiées à la tutelle de l’Autriche; et quant à la Turquie, elle était assez prête à l’abandon dont nous parlons, et avait même sa compensation à sa portée. La Circassie, à l’heure qu’il est, expropriée et dépeuplée par les Russes comme la Pologne, était, comme elle aussi, tout en feu au moment qui nous occupe ; elle livrait son combat suprême, en appelait au sultan, et le reconnaissait comme souverain. La Porte n’aurait pas mieux demandé que d’échanger contre ce pays caucasien son littoral adriatique, et cet échange aussi n’aurait été que légitime et aurait profité à la cause de l’humanité, car si les Turcs ne sont que « campés en Europe, » ils ont des racines encore bien solides, un long avenir même, dans l’Asie musulmane, et la domination du sultan sur le Caucase eût été, dans tous les cas, plus rassurante pour l’Europe que celle des tsars. Il y avait donc alors, — telle fut au moins la conviction de quelques esprits intelligens à Vienne, — des matériaux sérieux pour une combinaison à la fois grande et juste; il aurait fallu seulement les bien coordonner et les présenter en un imposant ensemble. Il est vrai que de pareils et vastes remaniemens sur une si grande échelle supposaient la détermination de faire une guerre sérieuse à la Russie, une guerre à outrance; ils supposaient de plus une coopération sincère, et, à certains égards même, active de la part de l’Angleterre. Néanmoins ce qu’il importait surtout, c’est que la France montrât à cette heure décisive la ferme volonté, la résolution inébranlable, de secourir la Pologne coûte que coûte, qu’elle imposât au cabinet de Vienne par une attitude très arrêtée, car c’était là le seul moyen capable de l’entraîner. L’Autriche était en ce moment encore trop éloignée de la Russie et de la Prusse, elle craignait encore trop l’opinion, alors très ardente en faveur de la Pologne, pour qu’elle eût osé faire cause commune avec le prince Gortchakov et M. de Bismark, et d’un autre côté toute solution de la question polonaise affectait trop profondément ses intérêts les plus vitaux pour qu’elle ait pu se renfermer dans une inaction complète. Si la France eût montré la volonté d’agir, d’agir sur-le-champ et à tout prix, le cabinet de Vienne aurait peut-être adhéré, récalcitrant, mais en quelque sorte fasciné. Ce qui dans tous les cas était le moins fait pour triompher des hésitations de l’Autriche, c’était de lui montrer ses hésitations propres, de lui laisser le choix, voire l’initiative,