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de lui dire : « Marchez, je vous suivrai! » au lieu de dire : « Je marche, suivez-moi!... » Il est peut-être étrange d’invoquer un poète lorsqu’on discute les considérations si peu poétiques de la diplomatie, et toutefois quiconque a un peu réfléchi sur les traditions et les habitudes de l’Autriche reconnaîtra la justesse des paroles que met Schiller dans la bouche d’un des compagnons de son Wallenstein : « S’il fallait attendre jusqu’à ce qu’à Vienne, sur vingt-quatre maux, on eût choisi le plus petit, on attendrait longtemps. Les affaires veulent être brusquées avec ces messieurs, et ils s’accommodent bien mieux là-bas d’une nécessité odieuse que d’un choix pénible[1]... » Bientôt du reste, dans la question danoise, M. de Bismark devait prouver qu’il n’avait pas oublié ses classiques allemands, et qu’il savait aussi au besoin brusquer les affaires avec le cabinet de Vienne.

Au moment où l’ambassadeur d’Autriche près la cour des Tuileries s’acquittait à Vienne de sa mystérieuse mission, un personnage placé sur les marches du trône, le prince Napoléon, disait en plein sénat (19 mars) : «Soyez sûrs que l’empereur fera quelque chose pour la Pologne... Comment? par quels moyens? Je ne saurais le dire : je n’ai pas devant moi le portefeuille de M. le prince de Metternich; mais l’empereur fera quelque chose pour la Pologne...» On voudra bien nous permettre de confesser à cet endroit la même ignorance qu’avouait alors ingénument une altesse impériale; nous n’avons pas devant nous le portefeuille de M. le prince de Metternich, et nous avons vainement cherché dans les documens qui sont à la disposition du public le secret de la mission que remplissait alors ce diplomate distingué. A défaut d’un renseignement de ce genre, force nous est d’en appeler à un souvenir. Le père du prince Richard de Metternich, le vieux chancelier de l’empire et de l’état, avait parfois l’habitude de dire : « Si on me proposait de rétablir la Pologne dans vingt-quatre heures, j’y souscrirais immédiatement; mais pendant ces vingt-quatre heures j’aurais une peur terrible. » Or on a laissé à l’Autriche bien plus de vingt-quatre heures pour souscrire au rétablissement de la Pologne; on lui a laissé un temps indéfini, pendant lequel elle a eu tout loisir d’avoir une peur terrible, — peur de la révolution, de la France, d’elle-même, peur aussi de l’Angleterre! Car il n’est point malheureusement permis de douter que l’Angleterre n’ait mis alors tout en œuvre pour miner

  1. Wollte man’s erpassen,
    Bis sie zu Wien aus vier und zwanzig Uebeln
    Das kleinste ausgewählt, man passte lange!
    Frisch mitten durchgegriffen, das ist besser!
    Sie finden sich in ein verhasstes Müssen
    Viel besser als in eine bittre Wahl.