Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/658

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les projets de la France, pour détourner et même pour intimider l’Autriche. Lord Bloomfield n’épargna aucun soin afin de faire reculer M. de Rechberg, qui déjà, et de son propre mouvement, était si peu disposé à avancer. On le sut dans tous les cercles politiques de Vienne, on l’apprit aussi à Paris, et on s’y montra très irrité contre le cabinet de Saint-James, qui d’un côté agitait si violemment l’opinion, ameutait toutes les chancelleries contre le tsar, voulait forcer la France de rompre en visière avec la Russie, et de l’autre empêchait tout effort sérieux pour assurer à la Pologne sa liberté et son indépendance. C’est que la Grande-Bretagne ne voulait pas d’une Pologne indépendante; elle ne voulait pas de la guerre en général, et en particulier d’une guerre qui aurait rapproché la France et l’Autriche et menacé dans son existence même la Prusse protestante. « Ingratitude, ton nom est diplomatie! » aurait eu le droit de s’écrier ici Hamlet, surtout en sa qualité de prince de Danemark, car dans les affaires du pauvre Danemark le ministre de Guillaume Ier ne devait nullement savoir gré à lord John Russell des services que celui-ci avait rendus à la Prusse dans les premiers mois de 1863...

L’action du foreign office à Vienne pendant la mission de M. de Metternich est soigneusement passée sous silence dans le blue-book présenté au parlement. Le simple fait même de cette mission ne s’y trouve mentionné qu’une seule fois et comme par hasard. Il n’est point cependant difficile de suivre, en rapprochant quelques pièces publiées dans ce livre et datées de la seconde moitié de mars, les traces de la marche adoptée par l’Angleterre en face des projets de la France. Il y a surtout une curieuse dépêche de lord Russell à lord Bloomfield (17 mars) qui met bien en relief les vues et les préoccupations de l’Angleterre à ce moment, pourvu qu’on la lise à la lumière des dates et sans se laisser imposer par des phrases philanthropiques. Le principal secrétaire d’état y rend compte « d’une longue et intéressante conversation » qu’il vient d’avoir avec le comte Appony, ambassadeur d’Autriche. L’argument constant de l’Autriche contre l’invocation du traité de Vienne en faveur de la Pologne se rapprochait à certains égards de celui de la France, à savoir que l’exécution même de ce traité, si la Russie y consentait jamais, serait encore loin de contenter les Polonais, qui tôt ou tard demanderaient l’indépendance. « Depuis 1815, — disait M. Billault dans la séance du sénat du 19 mars, — depuis 1815, nous avons vu successivement essayer sur ce malheureux pays bien des systèmes. La constitution donnée par Alexandre Ier a abouti à la révolution de 1831; le système violent et oppressif pratiqué sous l’empereur Nicolas n’a pu ni dompter, ni anéantir cette nationalité résistante; les dispositions conciliantes de l’empereur Alexandre II