Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/659

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viennent d’aboutir à une nouvelle insurrection. Si le gouvernement russe donne peu à cette nationalité souffrante, elle se tiendra pour opprimée, et restera profondément mécontente; s’il lui concède beaucoup, elle usera de ce qui lui aura été donné pour reconquérir ce qui lui manquera encore. Les traités de 1815 ne sont donc pas une solution. » Et de même le comte Appony argumentait devant lord Russell (dépêche du 17 mars) « que si le traité de Vienne était complètement exécuté et si une diète et une administration nationales étaient établies à Varsovie, les Polonais ne seraient pas satisfaits. Le résultat serait un royaume de Pologne ; mais un royaume de Pologne indépendant exigerait l’annexion de ses anciennes provinces, et si cette politique réussissait, la Galicie serait perdue pour l’Autriche. » Les prémisses de M. Billault et du comte Appony étaient donc en quelque sorte identiques; seulement, là où M. Billault concluait à la nécessité « de faire quelque chose, » et quelque chose de nouveau et de décisif, le comte Appony semblait penser que le mieux serait de ne rien faire du tout, ou plutôt le cabinet de Vienne ne donnait aucune conclusion, et paraissait l’attendre de la France et de l’Angleterre. Or voici ce que répondait l’Angleterre : « J’ai dit au comte Appony, — écrit lord Russell dans la même dépêche, — que j’allais lui parler franchement à ce sujet. La Russie ne peut gouverner la Pologne que de deux manières. L’une était celle de l’empereur Nicolas : la tenir subjuguée et dégradée, détruire sa langue, la contraindre par la force à changer sa religion. Ces moyens répugnent à toutes les notions de justice et de clémence. L’autre était celle d’Alexandre Ier : la protéger contre la haine et la vengeance des Russes, en lui donnant la garantie des institutions populaires et d’une administration locale tout à fait distincte de celle de la Russie. Je crois qu’il n’y a pas de milieu entre un système d’oppression et celui d’un gouvernement libre et juste. Je ne nie pas, ai-je ajouté, que si la Pologne devait prospérer sous un tel régime, les aspirations à l’indépendance seraient entretenues et pourraient peut-être se voir satisfaites dans quinze ou vingt ans; mais je n’hésite pas à avouer que, comparant les deux systèmes, le gouvernement de sa majesté préfèrerait de beaucoup une paix immédiate et une éclatante période de justice, de prospérité et de liberté, avec l’espoir d’une indépendance finale du royaume de Pologne, à la condamnation d’une Pologne russe, à une sombre et néfaste période d’esclavage et de soumission qui serait suivie, peut-être dans peu de temps, d’une nouvelle éruption de haine et de vengeance. — Le comte Appony me dit qu’il comprenait mes vues, mais que l’Autriche, dans sa position, ne pouvait point les partager, »