Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/660

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ainsi le comte Russell se résignait à voir dans quinze ou vingt ans la Pologne indépendante, pourvu que la paix fût immédiate, et cette résignation, il voulait la faire partager à la Russie, menacée dans son avenir, à l’Autriche, qui pensait à sa Galicie! — Après nous le déluge, après nous l’indépendance même de la Pologne, — semblait dire le bon lord John, comme Ézéchias, ce roi juste de la Bible, — pourvu que la tranquillité ne soit pas troublée, que rien ne soit changé du temps que nous vivons!... Voilà donc jusqu’où pouvait s’échauffer le cœur de l’Angleterre pour cette malheureuse nation, qu’elle ne cessait de recommander à la commisération de tous les gouvernemens de l’Europe, et surtout de celui de la France! Aussi est-ce avec une satisfaction à peine contenue que lord Bloomfield mande bientôt au principal secrétaire d’état que les vœux du juste Ézéchias sont pleinement exaucés, que M. de Rechberg va même personnellement le rassurer à cet égard « et par le présent courrier; » le mot de paix revient à plusieurs reprises et avec accent dans cette dépêche de quelques lignes (19 mars) comme une note douce à répéter. « Le prince de Metternich est encore ici; mais M. de Rechberg m’a de nouveau assuré aujourd’hui que la politique de l’Autriche n’a subi aucune modification; n’importe ce qui peut arriver, elle aura toujours en vue les intérêts généraux de la paix. Son excellence dit encore qu’elle enverrait au comte Appony une courte dépêche par le présent courrier, relative à la visite du prince de Metternich à Vienne, et pour l’informer que la politique du gouvernement autrichien reste sans changement... »

Et toutefois le gouvernement autrichien n’avait pas ou se donnait l’air de n’avoir pas encore dit son dernier mot. Ce qui est sûr au moins, c’est que le prince de Metternich revint à Paris, non point découragé tout à fait, et surtout point décourageant. Il croyait seulement que la situation n’était pas encore « assez mûre; » il était persuadé que l’Autriche finirait par se résoudre, pourvu que l’insurrection durât encore deux mois, et le cabinet des Tuileries semblait partager cette croyance. « Le gouvernement autrichien, — disait M. Drouyn de Lhuys dans une circulaire qu’il adressait le 24 mars à ses agens au sujet du voyage du prince de Metternich, — maintient l’attitude qu’il a prise et à laquelle nous avons sincèrement applaudi; sans devancer les événemens, il s’en remet à eux du soin de lui inspirer ses résolutions ultérieures... » Croyance fatale! elle contribua non-seulement à faire persévérer la France dans ses efforts diplomatiques, mais à stimuler la Pologne dans sa lutte sanglante, à lui faire mettre ses derniers enjeux dans un combat si inégal et si terrible...

Quoi qu’il en soit et quelles que pussent encore se montrer les