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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/666

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de la chambre haute, qu’il serait du « devoir » de l’Angleterre « de ramener les Polonais sous la domination russe, » si jamais ils essayaient de s’en affranchir, même par leurs propres forces! « Ce n’est pas l’affaire du gouvernement anglais, disait de son côté lord Russell dans les séances du parlement des 8 et 9 juin 1863, d’ériger un royaume de Pologne sur son ancienne base; ce n’est pas à nous de restaurer un grand état polonais ni de proposer cette combinaison à l’acceptation des puissances... » L’Angleterre peut désirer la diminution de l’influence moscovite en Asie, et la guerre de Crimée l’a satisfaite à certains égards sur ce point; mais quant à la puissance du tsar en Europe, elle y applaudit, elle y voit un contre-poids salutaire à la prépondérance française. Que ce soit la possession de la Pologne qui constitue la principale force de l’empire russe en Europe, et que la conservation de cette possession ne soit pas en même temps dépourvue pour le gouvernement russe de certains graves embarras et de convulsions périodiques, c’est là un motif de satisfaction et de sécurité de plus pour l’Angleterre avisée : ces embarras, ces convulsions contiennent utilement l’empire des tsars et l’empêchent de devenir trop dangereux. Il est dans la fatalité poignante de la Pologne qu’elle ne puisse ni ressusciter ni mourir, et que cet état d’éternelle agonie soit précisément dans les parfaites convenances de l’Angleterre et de l’Autriche. L’extinction complète du sentiment polonais serait vue en effet avec aussi peu de faveur à Vienne qu’à Londres; la Russie deviendrait alors beaucoup trop forte, et, ce qui est plus grave, un rapprochement entre elle et la France ne serait plus dans ce cas tout à fait impossible. Heureusement l’esprit immortel de la nation polonaise est là pour rassurer « cet esprit de nationalité polonaise, disait le comte Russell dans la séance du parlement du 13 juillet 1863, que je crois ne devoir mourir jamais, que j’espère ne devoir mourir jamais, attendu que ce serait une honte pour l’Europe qu’il mourût, » attendu surtout, aurait-on pu ajouter, que ce serait un grand mécompte pour l’Angleterre!... Diplomatiquement, ce triste calcul a trouvé son expression dans la célèbre formule qu’inventa lord Palmerston dans la séance du 27 février, et qu’il devait plus tard répéter et varier à l’infini : « Nous avons le droit d’intervenir en Pologne, dit alors le chef du cabinet britannique, mais nous n’en avons pas l’obligation. » En d’autres termes, l’Angleterre ne renonce point à se servir du nom de la Pologne comme d’une arme, le cas échéant, dans le cas surtout d’une intimité trop prolongée entre la Russie et la France, ainsi qu’on a pu le voir pendant le congrès de Paris ou dans les années 1861-62; mais, cet avantage une fois obtenu, à une certaine heure, elle est toute prête à abandonner la nation victimée à elle-même et à s’en