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deux. Nous sommes arrivés, dans l’histoire de sa vie, à l’un de ces momens pénibles où il sacrifie l’honneur au repos; ne lui soyons pas trop sévères, et souvenons-nous que plus tard il a sacrifié non-seulement son repos, mais même sa vie, pour sauver son honneur.


II.

Un des résultats de la nouvelle politique de Cicéron fut de lui donner l’occasion de bien connaître César. Ce n’est pas qu’ils eussent été jusque-là étrangers l’un à l’autre. Le goût qu’ils avaient tous deux pour les lettres, la communauté même de leurs études, les avaient réunis dans leur jeunesse, et de ces premiers rapports, qui ne s’oublient jamais, il leur était resté un fonds de sympathie et de bienveillance mutuelles. Mais, comme dans la suite ils s’étaient attachés à des partis contraires, les événemens n’avaient pas tardé à les séparer. Au Forum, au sénat, ils avaient pris l’habitude d’être toujours d’un avis opposé, et naturellement leur amitié avait souffert de la vivacité de leurs discussions. Cependant Cicéron nous dit que, même quand ils étaient le plus animés l’un contre l’autre. César n’avait jamais pu le haïr.

La politique les avait désunis, la politique les rapprocha. Quand Cicéron se fut tourné vers le parti des triumvirs, leurs relations intimes recommencèrent; mais cette fois leur situation était différente, et leur liaison ne pouvait plus avoir le même caractère. L’ancien condisciple de Cicéron était devenu pour lui un protecteur. Ce n’était plus un attrait mutuel ou des études communes, c’était l’intérêt et la nécessité qui les unissaient ensemble, et leurs liens nouveaux étaient formés par une sorte d’accord réciproque dans lequel l’un des deux livrait son talent et un peu de son honneur afin que l’autre lui garantît le repos. Ce ne sont pas là, il faut l’avouer, des circonstances bien favorables pour faire naître une amitié sincère. Cependant, lorsqu’on fit la correspondance intime de Cicéron, où il parle à cœur ouvert, on ne peut douter qu’il n’ait trouvé beaucoup de charmes dans ces rapports avec César qui lui semblaient d’abord devoir être si difficiles. C’est probablement qu’il les comparait à ceux qu’il lui fallait, à la même époque, entretenir avec Pompée. César au moins était toujours affable et poli. Quoiqu’il eût les plus graves affaires sur les bras, il trouvait le temps de songer à ses amis et de plaisanter avec eux. Tout victorieux qu’il était, il souffrait qu’on lui écrivît « familièrement et sans bassesse. » Il répondait lui-même des lettres aimables, « pleines de politesse, de prévenance et d’agrément, » qui ravissaient Cicéron. Pompée au contraire semblait prendre plaisir à le blesser par ses grands airs.