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ployait tant de grâce et d’esprit. « Ce n’est pas, lui disait-il, le commandement d’une légion ou un gouvernement que je vous demande pour lui. Je ne détermine rien. Accordez-lui votre amitié, et si vous voulez ensuite faire quelque chose pour sa fortune et pour sa gloire, je ne m’y opposerai pas. Enfin je vous l’abandonne tout entier ; je vous le livre de la main à la main, comme on dit, et j’espère qu’il se trouvera bien entre ces mains fidèles et victorieuses. » César remercia Cicéron du cadeau qu’il lui faisait, et qui ne pouvait manquer de lui être très précieux, « car, faisait-il spirituellement remarquer, parmi cette multitude d’hommes qui m’entoure, il n’y en a pas un qui sût présenter une requête ou donner une assignation. »

Trebatius n’était parti de Rome qu’à contre-cœur ; Cicéron dit qu’il fallut le mettre à la porte. Le premier aspect de la Gaule, qui ressemblait si peu à la France d’aujourd’hui, n’était pas fait pour l’égayer. Il traversa des contrées sauvages, des peuples mal soumis et menaçans, et au milieu de cette barbarie qui lui serrait le cœur, il songeait toujours aux plaisirs de cette ville élégante qu’il venait de quitter. Les lettres qu’il écrivait étaient si désolées que Cicéron, oubliant qu’il avait éprouvé les mêmes regrets pendant son exil, lui reprochait doucement ce qu’il appelait ses sottises. Quand il fut arrivé au camp, sa mauvaise humeur redoubla. Trebatius n’était pas guerrier, et il est probable que les Nerviens et les Atrébates lui faisaient grand’peur. Il arriva juste au moment où César allait partir pour l’expédition de Bretagne, et refusa, on ne sait sous quel prétexte, de l’accompagner : peut-être allégua-t-il, comme Dumnorix, qu’il craignait la mer ; mais, même en restant en Gaule, on ne manquait pas de dangers et d’ennuis. L’hiver, on n’avait pas ses aises dans les quartiers ; on souffrait du froid et de la pluie sous ce ciel rigoureux. L’été, il fallait entrer en campagne, et les frayeurs recommençaient. Trebatius se plaignait toujours. Ce qui ajoutait à son mécontentement, c’est qu’il n’avait pas trouvé tout de suite les avantages qu’il s’était promis. Il n’était pas parti volontiers, et voulait revenir le plus vite possible. Cicéron dit qu’il avait regardé la lettre de recommandation qu’il lui avait donnée pour César comme une lettre de change payable au porteur. Il s’imaginait qu’il n’avait qu’à se présenter pour toucher l’argent et partir. Ce n’était pas seulement de l’argent qu’il était venu chercher en Gaule ; il croyait y trouver de la considération et de l’importance. Il voulait approcher César et s’en faire apprécier. « Vous aimeriez mieux encore, lui écrit Cicéron, être consulté que couvert d’or. » Or César était si occupé qu’on ne l’abordait qu’avec peine, et il ne fit pas d’abord grande attention à ce savant jurisconsulte qui lui ar-