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suite, Trebatius traversa des temps difficiles en conservant la réputation d’être un honnête homme; c’est une justice que lui rendent tous les partis, quoiqu’ils n’aient guère l’habitude de rendre justice. Il eut la chance heureuse et rare d’échapper à tous les périls des guerres civiles, et il vivait encore au temps d’Horace, qui lui adressa une de ses plus agréables satires. On y voit que c’était alors un vieillard aimable et indulgent qui riait volontiers et se plaisait avec la jeunesse. Il l’entretenait sans doute de cette grande époque dont il était un des derniers survivans, de la guerre des Gaules, à laquelle il avait assisté, de César et de ses capitaines, qu’il avait connus. Par un privilège de son âge, il pouvait parler de Lucrèce à Virgile, de Cicéron à Tite-Live, de Catulle à Properce, et formait une sorte de transition et de lien vivant entre les deux plus illustres époques de la littérature latine.

L’autre personnage que Cicéron envoyait à César était son frère Quintus. Comme il tient une très grande place dans sa vie et qu’il a joué un rôle assez important dans la guerre des Gaules, il convient, je crois, de dire quelques mots de lui. Il ressemblait très peu à son frère. Quoiqu’il eût suivi les mêmes leçons et écouté les mêmes maîtres, il ne s’était jamais senti aucun goût pour l’éloquence, et avait toujours refusé de parler en public. « C’est bien assez, disait-il, d’un orateur dans une famille, et même dans une cité. » Il était d’un caractère difficile et changeant et entrait sans motif dans des colères insensées. Avec toutes les apparences d’une grande énergie, il se décourageait vite, et quoiqu’il affectât de paraître toujours le maître, tout son entourage le menait. Ces défauts, dont Cicéron gémissait tout bas, quoiqu’il essaie de les excuser, empêchèrent Quintus de réussir dans sa vie publique et troublèrent sa vie privée.

On l’avait marié de bonne heure à Pomponia, la sœur d’Atticus. Ce mariage, que les deux amis avaient imaginé pour resserrer leur liaison, faillit la rompre. Les époux se trouvaient avoir des caractères beaucoup trop assortis : ils étaient violens et emportés tous les deux et ne purent jamais s’entendre. Ce qui acheva de troubler le ménage, ce fut l’empire sans bornes que prit un esclave, Statius, sur l’esprit de son maître. À ce propos, il nous serait facile de montrer, avec les lettres de Cicéron, quelle domination exerçait souvent l’esclave dans les familles anciennes : elle était plus grande encore qu’on ne le suppose. Aujourd’hui que le serviteur est libre, il semblerait naturel qu’il eût pris dans nos maisons une place plus importante. C’est le contraire qui est arrivé, et il a perdu en influence tout ce qu’il gagnait en dignité. En devenant indépendant, il a fait compter son maître avec lui. Ils vivent ensemble liés par un contrat temporaire qui, imposant des obligations réciproques, paraît