Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/699

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gênant des deux côtés. Comme ce traité fragile peut se rompre d’un moment à l’autre, et que ces alliés d’un jour sont exposés à devenir le lendemain des indifférens ou des ennemis, il n’y a plus d’abandon ni de confiance entre eux, et tout le temps que le hasard les rassemble, ils le passent à se défendre et à s’observer. Il en était bien autrement dans l’antiquité, quand florissait l’esclavage. Ce n’était pas alors pour un moment, c’était pour toute la vie qu’on était réunis; aussi s’arrangeait-on pour se connaître et s’accommoder l’un à l’autre. Gagner la faveur du maître était tout l’avenir de l’esclave, et il se donnait de la peine pour y arriver. Comme il n’avait pas de position à défendre ni de dignité à conserver, il se livrait à lui tout entier. Il flattait et servait sans scrupule ses passions les plus mauvaises, et finissait par lui devenir nécessaire. Une fois assis dans son intimité par ces complaisances de tous les momens, par ces services intérieurs et secrets qu’on ne craignait pas de lui demander, et qu’il ne se refusait jamais à rendre, il dominait la famille, en sorte qu’il est vrai de dire, quelque étrange que cela paraisse au premier abord, que jamais le serviteur n’a été plus près d’être le maître qu’à l’époque où il était esclave. C’est ce qui était arrivé à Statius. Par la connaissance qu’il avait des défauts de Quintus, il s’était si bien insinué dans sa confiance que toute la maison pliait sous lui. Pomponia seule résistait, et les contrariétés qu’elle éprouva dans son ménage à cette occasion la rendirent plus insupportable encore. Elle harcelait sans cesse son mari de mots désobligeans; elle refusait de paraître aux dîners qu’il donnait sous prétexte qu’elle n’était plus qu’une étrangère chez elle, ou, si elle consentait à y venir, c’était pour rendre les convives témoins des scènes les plus fâcheuses. C’est sans doute un jour qu’elle avait été plus revêche et plus acariâtre encore qu’à l’ordinaire que Quintus composa ces deux épigrammes, seul échantillon qui nous reste de son talent poétique :


« Confiez votre navire aux vents, mais ne livrez pas votre âme à une femme. Il y a moins de sûreté dans la parole d’une femme que dans les caprices des flots. »

« Il n’y a point de femme qui soit bonne; ou s’il s’en trouve quelqu’une par hasard, je ne sais par quel destin une chose mauvaise a pu devenir bonne un moment. »


Ces deux épigrammes sont assez peu galantes, mais il faut les pardonner au mari malheureux de l’aigre Pomponia.

La vie politique de Quintus ne fut pas plus brillante que sa vie privée n’était heureuse. Les positions qu’il occupa, il les dut au grand nom de son frère plus qu’à son mérite, et il ne fit rien pour