Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/705

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raide et solennelle qui rebutait dans Pompée ; mais, quelque gracieux qu’il voulût être, il y avait toujours quelque chose en lui qui inspirait le respect, et on sentait que cette aisance de manières qu’il affectait avec tout le monde venait d’une supériorité sûre d’elle-même. Ce défenseur de la démocratie n’en était pas moins au fond un aristocrate qui n’oubliait jamais sa naissance et parlait volontiers de ses aïeux. Ne l’avait-on pas entendu, au début de sa vie politique, lorsqu’il attaquait avec le plus de vivacité les institutions de Sylla et qu’il essayait de faire rendre aux tribuns leur ancien pouvoir, prononcer pour sa tante une oraison funèbre toute pleine de mensonges généalogiques, et dans laquelle il racontait avec complaisance que sa famille descendait à la fois des rois et des dieux ? Au reste il suivait en cela les traditions des Gracques, ses illustres prédécesseurs. Eux aussi défendaient avec ardeur les intérêts populaires, mais ils rappelaient l’aristocratie dont ils étaient sortis par l’élégance hautaine de leurs manières. On sait qu’ils avaient une cour de cliens à leur lever, et que les premiers ils imaginèrent de faire entre eux des distinctions qui ressemblent aux grandes et aux petites entrées de Louis XIV.

Ce qui était remarquable surtout dans cet entourage de César, c’est l’amour qu’on y avait pour les lettres. Certes on n’était plus au temps où les généraux romains faisaient brûler des chefs-d’œuvre ou se glorifiaient d’être ignorans. Depuis Mummius et Marius, les lettres avaient fini par pénétrer dans les camps, qui, comme on sait, ne sont pas leur demeure ordinaire. Cependant je ne crois pas qu’on ait jamais vu réunis dans aucune autre armée autant de littérateurs éclairés, autant de gens d’esprit et d’hommes du monde que dans celle-là. Presque tous les lieutenans de César étaient des amis particuliers de Cicéron, et ils se plaisaient à entretenir des rapports assidus avec celui qu’on regardait comme le patron officiel de la littérature à Rome. Crassus et Plancus avaient appris l’éloquence en plaidant à ses côtés, et dans ce qui nous reste des lettres de Plancus on reconnaît à une certaine abondance oratoire qu’il avait bien profité de ses leçons. Trebonius, le vainqueur de Marseille, faisait profession de goûter beaucoup ses bons mots, et il en publia même un recueil. Cicéron, à qui cette admiration ne déplaisait pas, trouvait cependant que son éditeur avait mis trop du sien dans les préambules, sous prétexte de préparer l’effet des plaisanteries et de les mieux faire comprendre. « Le rire est épuisé, disait-il, quand on arrive à moi. » Hirtius était un historien distingué, qui se chargea plus tard d’achever les Commentaires de son chef. Matius, un ami dévoué de César, et qui se montra digne de cette amitié en y restant fidèle, traduisait l’Iliade en vers latins. Quintus était poète aussi, mais